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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/383

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à laquelle le pays ne s’est pas lassé de se montrer fidèle. La décadence peut être vainement prédite à l’Angleterre par de faux prophètes; la Grande-Bretagne leur oppose avec confiance le permanent témoignage de sa virile grandeur, et en dépit des médecins qui cherchent des cures à faire et qui voudraient la faire passer pour malade, elle continue à donner elle-même le bulletin le plus satisfaisant de sa force et de sa santé.

Tel est l’enseignement que peuvent donner aujourd’hui les dernières élections en mettant sous nos yeux le mouvement de la vie politique du pays affranchi de toute contrainte : elles ne doivent pas seulement servir à faire connaître la lutte des partis entre lesquels le pouvoir est pacifiquement disputé; il faut surtout y chercher le spectacle d’un peuple qui est accoutumé à user de ses droits sans être tenté d’en abuser, et qui a toujours su concilier l’amour du progrès avec le respect des traditions. Le rôle des personnages qui sont sur la scène a sans contredit son importance; mais il s’efface devant le rôle de ce personnage anonyme qui est la foule, et qui, comme le chœur de la tragédie antique, applaudit les uns, gourmande les autres et les juge tous. C’est cet esprit public qui est l’âme de la constitution britannique et comme le souffle de cette grande création : mens agitat molem. Il peut seul faire saisir la physionomie et le caractère des élections de la Grande-Bretagne : il en anime le tableau, il en éclaire tout le système, et il en résume également toutes les garanties.

Les élections qui donnent à la Grande-Bretagne sa chambre des communes n’ont pas lieu à huis clos, et elles n’intéressent pas seulement les électeurs : elles se font devant le peuple, sinon par le peuple, et sans donner à la nation tout entière un droit d’entrée dans le corps électoral, elles ne la tiennent pas cependant à l’écart. Elles ont un autre intérêt que celui d’un vote silencieusement donné et silencieusement reçu. Elles engagent en effet devant le pays comme un grand procès où tous les principes s’exposent, où toutes les questions se débattent, où toutes les causes s’instruisent, se plaident et se jugent. Elles sont un appel à l’opinion, qui, librement consultée, se prononce librement, tout en restant défendue contre elle-même par la résistance que les institutions peuvent opposer à ses caprices passagers. Destinées à assujettir la responsabilité des gouvernans au contrôle des gouvernés, elles font des affaires publiques les affaires privées de tous les citoyens. Elles ne mesurent pas ainsi au pays la vie politique à petites doses ; elles la répandent à flots, non pas en la précipitant tout à coup comme un torrent qui tour à tour se grossit et se dessèche, mais en la faisant couler comme un grand fleuve qui n’est exposé ni à tarir ni à déborder. Elles font assister à un