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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/48

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humaine. Pour la philosophie, on sait qu’elle fut un temps l’esclave de l’autorité, et qu’un autre temps est venu, l’ère de Bacon et de Descartes, où elle n’a plus voulu être que la servante de la raison. Voilà en gros le vieux, voilà le nouveau, et voilà les deux esprits qu’on s’est naguère efforcé de concilier. Il est fort douteux qu’on les puisse unir au point de les confondre, et qui sait si ce serait désirable? Les fusions sont difficiles; mais une paix est possible, du moins une trêve, et beaucoup de reconnaissance est due aux hommes généreux qui prennent à tâche de remplacer par une émulation bienveillante entre les opinions sincères la lutte ardente des convictions ou des prétentions passionnées.

Il ne faut point chercher l’unité : elle est une chimère et un danger; mais on peut espérer, et il est toujours méritoire d’y travailler, que des doctrines qui diffèrent par l’origine, les procédés et le but, finiront par co-exister sans se combattre, et poursuivront sans discorde l’œuvre de bien qu’elles se proposent, en servant, chacune à sa mode, la cause de la vérité. Le temps, qui émousse les angles des métaux les plus durs, peut effacer des ressentimens, dissiper des préventions, et les hommes n’ont pas toujours besoin de penser de même pour être amenés à faire la même chose. Rien n’empêche donc de croire à un avenir plus paisible que le passé; l’histoire de l’un n’est pas nécessairement la prophétie de l’autre. Ceux à qui cette histoire n’est pas étrangère, ceux qui ont vu les luttes du commencement de ce siècle peuvent conserver quelque incertitude quant au succès complet de l’entreprise; mais ils sont tenus par leur expérience même d’y applaudir et d’y contribuer. Ils auraient bien peu de mémoire s’ils ne se rappelaient sur quels écueils la barque s’est plus d’une fois brisée, et bien peu de dévouement s’ils ne les signalaient à ceux qui s’aventurent sur les mêmes eaux. Ils doivent surtout prévenir le retour des fautes qui pourraient empêcher tout raccommodement. La moins grave ne serait pas celle de ressaisir les armes de guerre comme des instrumens de paix, et en s’obstinant dans les traditions de parti, dans les admirations de circonstance, de plaider les mêmes causes avec les mêmes argumens. Rien ne serait plus malhabile et plus funeste que de reprendre les controverses de toute sorte au point où elles ont été laissées, d’y faire figurer les mêmes thèses, les mêmes critiques, les mêmes noms; autant vaudrait en plein armistice dire aux clairons de sonner la charge.

Les hommes seraient trop heureux si la vérité, quand elle pénètre dans leur esprit, s’en emparait au point de le transformer et de se l’assimiler entièrement. Quand, par bonne fortune ou par sa rectitude naturelle, notre raison va au vrai, elle ne change pas de nature; elle reste limitée et faible. Nous entrons dans la vérité avec le cor-