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serviles auxquels il les assujétit. En Chine, selon la doctrine politique, confirmée et appuyée par la doctrine religieuse, le mensonge n’a rien de déshonorant; le gouvernement ne se fait aucune faute de propager hardiment et presque consciencieusement ce qu’il y a de plus faux dès qu’il y trouve son avantage. Les fonctionnaires ne sont jamais punis pour avoir mal agi, mais pour n’avoir pas réussi; aussi, comptables seulement du succès envers l’autorité supérieure, ne se regardent-ils pas comme obligés envers elle à la vérité, et ne se font-ils aucun scrupule de la tromper, s’ils peuvent, à ce prix, éviter de passer pour malhabiles. De haut en bas et de bas en haut, ce n’est dans toute la hiérarchie administrative qu’un commerce de mensonge[1]. Pendant des siècles, à ce qu’il paraît, la politique a cru trouver son compte à cette étrange manière de gouverner les hommes; mais dès qu’au lieu de se trouver en face d’une nation accoutumée à se payer de cette fausse et honteuse monnaie, on a eu à traiter avec des peuples chez qui la religion et les lois de l’honneur condamnent le mensonge, on s’est aperçu du péril que l’on courait, et les avertissemens de l’intérêt se sont joints à ceux de la conscience

  1. Qu’on nous permette de citer ici quelques passages du journal tenu, suivant l’usage chinois, par Pi-kwei, surintendant des finances à Canton, de ses conversations avec l’empereur en octobre 1849. Ce journal se trouve dans l’ouvrage de M. Meadows, lequel a connu Pi-kwei. On jugera par ces extraits des lumières de l’empereur et de la véracité de son mandarin.

    « L’empereur. — Il paraît que les barbares ne peuvent plus se passer du commerce de Canton, c’est leur gagne-pain.
    « Réponse. — Le peuple de Canton voit clairement qu’il en est ainsi.
    « L’empereur. — La puissance des Anglais paraît-elle réduite?
    « Réponse. — Oui... Ils n’ont plus que deux ou trois mille hommes à Hong-kong. La plupart des soldats verts (rifles) s’est dispersée faute d’argent,... et de plus un millier sont morts pendant les chaleurs.
    « L’empereur. — Dans toutes les affaires de ce monde, la prospérité est suivie par le déclin.
    « Réponse. — L’étoile divine de votre majesté est la cause du déclin des barbares
    « L’empereur. — Pensez-vous, d’après l’apparence des choses, que les barbares anglais ou autres donneront encore de l’embarras?
    « Réponse. — Non. Les Anglais n’ont rien gagné pour eux à la guerre. Quand ils se sont révoltés en 1841, ils n’étaient soutenus que par l’argent des autres nations qui voulaient élargir le trafic.
    « L’empereur. — Il est évident que le trafic est la principale occupation de ces barbares
    « Réponse. — Au fond, ils appartiennent à la classe des bêtes brutes, et il est impossible qu’ils aient le moindre but élevé
    « L’empereur. — La Chine n’a pas besoin des soieries ni des cotonnades étrangères. Regardez! moi qui suis le plus grand des hommes, mes chemises sont faites de coton de Corée. Je ne me suis jamais servi de coton étranger.
    « Réponse. — Les cotonnades étrangères ne sont bonnes à rien; elles n’ont pas de corps.
    « L’empereur. — Et ne se lavent pas bien, » etc., etc.