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ler que le territoire habité par les Portugais étant une portion du Céleste-Empire, si les Français s’y présentaient, l’invincible armée chinoise était là pour les repousser. Ordre était donc donné aux Anglais de se rembarquer, et jusqu’à ce que cet ordre fut exécuté, le commerce de Canton devait être suspendu. L’amiral remonte alors à Canton à la tête d’une flottille, et va demander au vice-roi une conférence qui lui est refusée. Les Chinois portent plus loin l’audace, et ils s’avancent à sa rencontre pour le combattre. Vainement l’amiral voulut-il encore parlementer, il fut reçu à coups de fusil, et un homme atteint à ses côtés. C’était le cas ou jamais d’infliger à l’arrogance chinoise une solennelle leçon; on a peine à le croire, elle ne lui fut point donnée. Les documens anglais parlent vaguement « d’un signal d’attaquer qui ne fut pas aperçu; » mais que cet ordre ait été donné ou non, il n’en est pas moins certain qu’on se retira sans combattre. On présume sans peine quels durent être le désespoir et la rage des marins anglais à ce cruel moment. Comme il n’y était que trop autorisé, le vice-roi de Canton chanta victoire, et publia un édit déclarant que tout commerce avec les barbares serait suspendu tant qu’un seul soldat anglais resterait à Macao. Ceux-ci s’étant rembarques, le commerce reprit son cours, et une pagode, destinée à éterniser le souvenir de l’ignominie européenne, s’éleva au lieu même où la flotte barbare avait pris la fuite.

On conçoit l’impression qu’un pareil événement dut faire sur les Chinois. Il en fit une tout autre, et non moins grande, en Angleterre. L’honneur national avait été blessé, et la fausse situation faite aux Européens en Chine par l’habileté des mandarins fut aggravée. Cependant le gouvernement anglais lui-même, quelque soucieux qu’il fut de l’honneur du pays, reculait devant la nécessité de recourir à des moyens rigoureux, et d’interrompre peut-être pour longtemps un commerce profitable. Ce gouvernement portait d’ailleurs à cette époque tout le poids de sa grande guerre contre Napoléon, et il laissait volontiers la direction des affaires de Chine aux mains de la compagnie des Indes, association puissante sur laquelle il n’exerçait qu’une action très limitée. Cette association était représentée à Canton par un comité formé des principaux négocians, et ceux-ci, tout entiers à leurs intérêts commerciaux, n’étaient guère propres à suivre une politique vigoureuse capable d’imposer aux mandarins. On ferma donc les yeux, et ce fut seulement après la paix que le gouvernement anglais, sans songer à une intervention armée à Canton, recourut pour la seconde fois au seul moyen qui lui restât de relever sa dignité, fort amoindrie, et avec elle celle de toutes les nations de l’Europe : il se résolut à envoyer à Péking une ambassade.

Déjà en 1793 lord Macartney s’était rendu à Péking avec le ca-