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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/511

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pusillanime par excès d’avidité, s’offre à eux aujourd’hui, par le même motif, revêtu de l’odieuse livrée de la contrebande. Le courage et l’audace des nations occidentales peuvent s’être élevés dans leur esprit : ils nous craignent plus ; mais il n’est pas bien sûr qu’ils nous estiment davantage.

Toléré d’abord à Canton, mais bientôt défendu, le commerce de l’opium avait pris des proportions immenses. En vain le gouvernement chinois avait-il fait tous ses efforts pour arrêter une contrebande qui épuisait toutes les richesses du pays, en même temps qu’elle démoralisait la population ; les passions humaines avaient prévalu contre ses efforts. En dépit des édits, les Chinois sacrifiaient tout pour se procurer la drogue empoisonnée. La contagion atteignit bien vite les mandarins, qui, non contens de rechercher le plaisir défendu, recherchaient bien davantage encore les profits que leur connivence à l’introduction frauduleuse de l’opium leur rapportait. Les progrès du mal peuvent se calculer par le chiffre chaque année croissant de l’importation :


En 1818 elle est de 4,000 caisses.
En 1830 de 18,000
En 1846 de 39,000
Et aujourd’hui de 70,000

Et qu’on ne l’oublie pas, ce vaste commerce était tout entier un commerce de contrebande. Tout le long des côtes de l’empire, il s’était établi avec les barbares des relations illicites qui échappaient à toutes les menaces du pouvoir impérial. Aussi fut-il sérieusement question, en 1837, de lever une prohibition devenue désastreuse ; j’ai sous les yeux une masse de documens attestant que les conseillers les plus éclairés de la cour de Péking furent tous d’avis d’autoriser ce qu’on ne pouvait plus défendre. Il est malheureux pour tout le monde que cet avis n’ait pas prévalu. La prohibition levée, le gouvernement impérial aurait pu confiner le commerce de l’opium à la rivière de Canton et éviter les expéditions clandestines le long des côtes, expéditions secondées, comme nous l’avons dit, par la population, par les autorités locales, et faites pour abaisser bien rapidement la barrière qu’il voulait maintenir contre les étrangers. Quant aux Européens, ils y auraient gagné d’être affranchis de toute participation à un commerce défendu, à tous les abus, à toutes les violences qu’il entraîne, là où on ne peut aller le surveiller. Ils y auraient gagné de pouvoir se présenter partout aux Chinois le front haut et lavés de cette tache qui, encore aujourd’hui, donne à toutes nos relations avec eux comme une couleur fausse et mensongère. Tant que le commerce européen conservera en Chine ce fâcheux ca-