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rité de la civilisation de l’Occident. Cette tâche serait délicate, et elle réclamerait de ceux qui auraient à l’accomplir beaucoup de tact et en même temps beaucoup de fermeté. Le premier effet à produire sur les Chinois de l’intérieur aurait, on ne saurait se le dissimuler, une très grande importance. Cette apparition d’une race d’hommes étrangère au milieu d’eux les étonnerait, et ce ne serait pas du premier coup qu’ils apprécieraient ce que le contact des Européens peut leur rapporter d’avantages. Sans doute alors agens militaires ou autres auraient à s’inspirer de l’exemple donné par M. Alcock à Shanghaï. Ce n’est pas à nous de répondre ici pour les Anglais et les Américains; mais nous croyons pouvoir affirmer que toute la partie de cette tâche qui reviendrait à la marine française serait dignement remplie. On trouverait là chez nos officiers ce courage à la fois modeste et inébranlable, ce dévouement éclairé et persévérant dont ils donnent partout des preuves, et qui ne sont pas toujours appréciés comme ils méritent de l’être. Leurs efforts sauraient bien seconder leurs alliés pour apprendre aux Chinois à estimer et respecter l’Europe.

Il est moins facile de prévoir l’influence que le mélange journalier des mœurs et des idées de l’Occident exercerait sur l’organisation de la société chinoise et sur l’assiette de son gouvernement. Quoique nous nous soyons déjà hasardés bien loin dans le champ des hypothèses, nous n’irons pas jusqu’à exprimer à ce sujet une opinion. Tout ce qu’on peut dire, c’est que l’organisation de cette société a reçu déjà et reçoit tous les jours de bien profondes atteintes. Nous avons montré l’ébranlement croissant du gouvernement impérial, son impuissance, son discrédit, les insurrections redoutables qui se sont dressées contre lui. Il nous paraît difficile que les rapports avec les Européens, si ces rapports sont faciles et amicaux, si les autorités européennes et chinoises agissent loyalement et dans une cordiale entente, n’aient pas pour effet de rendre au gouvernement impérial un certain degré de force et de considération. Les abus monstrueux qui font sa faiblesse et sa honte tendraient nécessairement à s’amoindrir ou même à disparaître au contact de notre civilisation, et peut-être l’énergie vitale se réveillerait-elle, au moins pour un temps, dans ce grand corps, aujourd’hui menacé de dissolution.

S’il en est autrement, si le gouvernement chinois veut ajouter à tous ses embarras une lutte insensée contre la civilisation européenne, au lieu de s’appuyer sur elle pour se faire pardonner sa défaite, nul doute qu’alors il accélérera sa chute; mais dans ce cas même il n’est guère probable que le vieil édifice s’écroule immédiatement, et lorsqu’arrivera la catastrophe, la société chinoise, déjà