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la poésie a su y répandre la variété et le mouvement ! L’écho s’en est prolongé jusque dans notre siècle ; on montre encore aux environs de Dehli le lieu où se livrèrent ces combats interminables, et qui porte toujours le nom de Kouroukchétra, champ des Kourous.

Parmi les anciens du parti des Kourous, leur aïeul Bhîchma a été tué dans la mêlée ; après celui-ci a succombé Drona, le précepteur des jeunes princes des deux branches de la famille royale ; plusieurs souverains alliés qui ont pris part à la lutte sont restés sur le champ de bataille. Cependant le vieux roi aveugle Dhritarâchtra vit toujours, et son écuyer Sandjaya lui raconte tous les détails de ces sanglantes journées. Il a la parole franche et dure, l’écuyer du vieux roi aveugle ; dans son récit, il ne songe point à ménager la sensibilité d’un cœur éprouvé par les plus cruels désastres. Parlant du lendemain de la grande défaite des propres fils de Dhritarâchtra, il dit :

« Alors, ô grand roi, les soldats qui suivaient Ouloûka[1], exaspérés de sa mort et insoucians de la vie, se jetèrent en criant autour des Pândavas ; — mais Ardjouna les contint… Ces gens qui brandissaient des épieux, des épées et des javelots, avides de tuer son jeune frère Sahadéva, il les déjoue dans leur dessein avec son arc. — Beaucoup de ces combattans, qui l’assaillaient les armes à la main, furent abattus par ses flèches à pointe de croissant ; il leur coupait la tête et perçait leurs chevaux. — Ceux-ci, frappés à mort, tombaient sans vie sur la terre, tués par ce héros du monde qui traversait leurs rangs. — Alors le prince Douryodhana, ayant vu la destruction de son armée et rassemblant ce qui lui restait de survivans ainsi que les grandes troupes de chars, — et les éléphans, et les chevaux, et les fantassins, tout en un mot, dit cette parole à ses compagnons réunis : — Abordant tous les Pândavas dans la lutte, ainsi que leurs amis et le roi des Pântchâliens leur allié avec son armée, détruisez-les et revenez au plus vite ! — Follement animés à combattre, jurant sur leur tête d’accomplir cette parole, ils coururent contre les Pândavas au milieu de la mêlée, par l’ordre de ton fils. — Contre ces soldats décimés dans la grande lutte s’élancèrent les Pândavas, qui les taillèrent en pièces avec leurs flèches pareilles à des serpens gonflés de venin. — Et cette armée en un instant fut anéantie par les princes magnanimes ; arrivée sur le lieu du combat, elle ne trouva personne qui pût la sauver. — Dans sa frayeur, elle ne put tenir contre l’inébranlable héros qui la frappait au milieu des chevaux courant çà et là, environnés par la poussière du champ de bataille ; — on ne pouvait rien discerner autour de soi. Alors beaucoup de soldats, sortant de l’armée des Pândavas, — se mirent à tuer les tiens dans la mêlée, et en un instant, ô grand roi, l’armée de tes fils fut anéantie ! — Ces armées complètes, rassemblées sous les ordres de ton fils au nombre de onze, furent détruites dans le combat, ô maître, par les enfans de Pândou et leurs alliés ! — De ces milliers de princes magnanimes combattant avec les tiens, seul Douryodhana

  1. L’un des guerriers du parti des Kourous.