Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyens de transport, la multiplication des établissemens hospitaliers, enfin un état moral et des ressources matérielles qui n’existaient pas pendant les campagnes de 1812 et 1814.

L’apparition du typhus contagieux fut la plus terrible épreuve qu’eut à subir l’armée d’Orient. A Constantinople, l’accumulation des malades dans l’hôpital de Daoud-Pacha le fit éclater brusquement; les autres hôpitaux furent successivement atteints, et l’influence s’étendit même au dépôt de convalescens de Maslak, épargné pendant les premiers jours. Bientôt les typhiques comptèrent pour un cinquième dans la population hospitalière. Le nombre des morts s’accroissait rapidement. La progression était la même sous Sébastopol. Pendant le mois de février, le chiffre total des malades s’éleva en Crimée à 19,648, dont 2,400 morts, et 8,738 évacués sur Constantinople; pendant le même mois, ce chiffre s’éleva dans les hôpitaux de Constantinople à 20,088, dont 2,527 morts, 640 évacués sur Gallipoli et Nagara, 3,617 évacués sur France. On parle avec effroi de la peste d’Egypte en 1702. « D’après les renseignemens les plus exacts, dit l’illustre Desgenettes dans son Histoire médicale de l’armée d’Orient, l’armée a perdu en Syrie, par l’épidémie, environ 700 hommes. » Notre typhus faisait des ravages bien autrement désastreux.

Il s’agissait de déployer des mesures énergiques, sans quoi la mortalité eût été sans limites. Les principaux remèdes étaient l’isolement et l’aération des malades. J’insistai vivement auprès de l’intendant militaire pour qu’on plaçât les typhiques dans des salles spéciales, où l’on pût distribuer l’air libéralement. C’était en même temps soustraire les autres malades aux dangers de la contagion. Il fallait aussi créer de nouveaux hôpitaux sous baraques pour empêcher l’encombrement[1], trouver 5,000 places et pouvoir loger dans chaque baraque des camps de Maslak quatre typhiques seulement au lieu de huit malades ordinaires. Nos alliés, les Anglais, nous of-

  1. Les médecins et les administrateurs s’entendent difficilement sur le mot encombrement. Ceux-ci ne voient que l’application des règlemens en vigueur. Tant qu’un hôpital, fixé à 1,500 malades par exemple, ne dépasse pas ce chiffre, et surtout si chaque malade a 20 mètres cubes d’air à respirer, il n’y a pas encombrement. Pour le médecin, l’encombrement existe dès qu’il se révèle par l’aggravation des maladies dans le milieu contaminé d’un hôpital et par une mortalité plus considérable. A partir de ce moment, il a le devoir de conseiller la réduction du nombre des malades et la désinfection des salles. En campagne, dès qu’un soldat est convalescent, il est évacué pour faire place à un autre plus malade. Les lits ne sont jamais vides, ni le jour ni la nuit. Chaque malade est un foyer d’émanations méphitiques; on conçoit que l’encombrement se produit rapidement. En temps de paix, un hôpital de 1,500 malades n’a guère que 1,000 lits toujours occupés en même temps. Il y a un tiers de convalescens qui, allant le jour se promener dans les cours ou dans les jardins, font bénéficier les autres malades des 20 mètres cubes d’air qui leur sont alloués dans les salles.