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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/642

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de périodes où les Ottomans, affaiblis par la paix, ruinés par l’oisiveté, incapables de posséder ce sol qu’ils ont conquis, semblent sur le point d’être expulsés de l’Europe! M. Abeken, dans un livre intitulé l’Entrée de la Turquie dans la politique européenne, M. Zinkeisen surtout dans son Histoire de l’Empire ottoman en Europe[1], ont donné à cet égard des détails pleins d’intérêt, puisés à des sources nouvelles. — Que sont les Turcs, disait Montesquieu, sinon les hommes les plus propres à posséder inutilement un grand empire? — Tel est, selon la spirituelle remarque de Montesquieu, le rôle providentiel des Ottomans; ils possèdent inutilement, c’est-à-dire sans profit pour eux comme sans danger pour l’équilibre des états européens, les contrées qui dans des mains plus fortes seraient la clé de l’Europe et de l’Asie. M. Léopold Ranke, dans sa vive et rapide esquisse des Ottomans, a développé cette pensée de Montesquieu; M. Zinkeisen achève aujourd’hui le tableau de M. Ranke. Quand il raconte l’état intérieur de la Turquie au XVIe siècle d’après les relations des ambassadeurs vénitiens à Constantinople et les lettres du Flamand Busbecq, il ne peut guère renouveler son sujet. M. Ranke avait déjà dit tout ce qu’il y avait d’essentiel à dire. Il lui était aussi fort difficile d’être bien neuf en exposant la politique de François Ier en Orient. Ce tableau est complet chez l’éditeur des Négociations de la France dans le Levant. La partie la plus importante de l’ouvrage de M. Zinkeisen est celle qu’il consacre aux rapports de la Turquie avec les puissances occidentales, à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe. Rien de plus curieux que les négociations de cette période; c’est le moment précis où s’évanouit le prestige des Ottomans. La veille encore on les craignait, ou du moins on réclamait leur appui; désormais on ne voit plus en eux que des eunuques : ils gardent l’Orient, ils occupent inutilement Byzance, voilà le seul service qu’on attend d’eux. Parmi les documens qu’a si bien rassemblés M. Zinkeisen, l’un des plus curieux est la collection des lettres de sir Thomas Roe, ambassadeur du premier des Stuarts auprès du sultan Moustapha Ier. Cet Anglais du XVIIe siècle a apprécié la Turquie avec autant de finesse et de sagacité qu’un Anglais du XIXe . Sir Hamilton Seymour n’aurait pas un jugement plus sûr, un esprit plus délié. Sir Thomas Roe est peut-être

  1. Der Eintritt der Turkei in die europäische Politik des 18 Jahrhunderts, von H. Abeken, 1 vol., Berlin 1856. — Geschichte des Osmanischen Reiches in Europa, von J. W. Zinkeisen, 3 vol., Gotha 1855. — On peut signaler encore l’ouvrage de M. Th. Mundt, Der Kampf um das schwarze Meer, etc., 1 vol., Brunswick 1855, — celui de M. Hermann Sauppe, Skizzen aus der Geschichte der Krim, 1 vol., Weimar 1855, — et une brochure de M. Heinemann, Æneas Sylvius als Prediger eines allgemeinen Kreuzzuges gegen die Türken.