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A la nouvelle de ces désastres, un cri d’horreur retentit dans l’Europe orientale. L’indignation est au comble; le sentiment de la fierté romaine, uni à l’exaltation religieuse, se ranime avec une subite énergie, et l’empereur Héraclius, s’empressant de mettre à profit ce réveil de ses peuples, annonce une expédition contre la Perse. Il s’agit de reconquérir le tombeau du Christ et d’arracher la croix aux infidèles; c’est la première croisade. Héraclius en est tout ensemble le Pierre l’Hermite et le Godefroy de Bouillon. A sa voix, des milliers de soldats accourent. Préparé à la guerre sainte par de pieuses retraites et par une communion solennelle, il s’embarque avec ses compagnons, avec ses frères, et au moment où sa flotte quitte le port, une immense acclamation s’élève sur les rives du Bosphore.

Ce glorieux souvenir, cher à l’église d’Orient, mais effacé de la tradition latine, M. Thierry le remet en lumière avec un rare bonheur. Pour retrouver tant de précieux détails enfouis dans le chaos des chroniques byzantines, l’érudition ne suffisait pas, il fallait une âme sympathique aux grandes choses. Le tableau de l’expédition d’Héraclius est un des meilleurs chapitres du livre de M. Thierry. Ce fut une croisade, je le répète, et une croisade merveilleuse. Chosroès et le sanglier royal avaient échelonné leurs armées le long des côtes de l’Asie-Mineure; Héraclius, avec l’audace qui donne tant d’originalité à sa pieuse et chevaleresque figure, dirige sa flotte vers la Mer-Noire; il va aborder aux rivages qu’habitent aujourd’hui les Tcherkesses. De l’Anatolie jusqu’à la Mer-Caspienne, il s’appuiera sur la ligne du Caucase, soulevant ces fières tribus, qui combattaient alors la Perse comme elles combattent aujourd’hui la Russie, attaquant le royaume de Chosroès par les frontières septentrionales, et obligeant ainsi ses ennemis à dégager les provinces romaines. Dans les longues guerres des Romains contre les Parthes et les Perses, M. Thierry le remarque avec raison, jamais plan si audacieux n’avait été conçu. Audace de pensée, vigueur d’exécution, voilà les qualités dominantes d’Héraclius; ajoutez-y cette confiance que donne l’enthousiasme religieux. Il était toujours le premier dans la bataille. Pendant la mêlée, dit un chroniqueur, on le reconnaissait à ses bottines de pourpre. Que de marches, que de combats, que de hardis coups de main, pour ne pas se laisser enfermer dans les défilés du Caucase! Quelle fertilité de ressources à travers les incidens d’une telle guerre! Un jour, menacé par trois armées qui se resserrent autour de lui, il apprend qu’une tribu de Huns nomades, les Khazars, saccagent une des provinces du nord de la Perse; il court à leur rencontre et les enrôle dans son armée. L’entrevue d’Héraclius et du chef des Khazars sous les murs de Tiflis est une scène romanesque et poétique dont l’historien a tiré le meilleur parti. Héraclius savait parler aux Orientaux, il savait flatter chez eux ce goût