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la France, comme il avait passé primitivement de l’Orient à la Grèce et de la Grèce aux Sept-Collines. L’unité de l’Histoire d’Attila est toute dans cette idée. C’est sur notre sol que le fils de Mound-Zoukh, fondateur du premier empire hunnique, est vaincu par Aétius ; quatre siècles plus tard, c’est par Charlemagne et par ses fils que le second empire des Huns est détruit, ses fortifications renversées, ses rapines enlevées et partagées à l’Europe. En 451, Attila foulait le sol de la Gaule ; en 811, le pays des Avars s’appelle le pays des Francs, Φραγγοχωριον (Fraggochôrion), et les chefs des vaincus reçoivent le baptême à Aix-la-Chapelle.

Ce n’est pas tout : quand un troisième empire hunnique est fondé, quand les Hongrois sont devenus une des nations chrétiennes de l’Europe, nos Français du moyen âge jouent encore un rôle dans leur histoire. Les temps sont bien changés : il ne s’agit plus de repousser avec les Gaulois l’invasion d’Attila ni d’anéantir avec les Francs de Charlemagne la puissance des kha-kans ; les Hongrois font partie de la société européenne, ils grandissent en face du royaume de Bohême et du duché d’Autriche. Or, après bien des vicissitudes, affaiblis par l’anarchie et les guerres intestines, abattus par l’invasion des Mongols au XIIIe siècle, ils ont besoin d’un chef qui relève la couronne de saint Etienne; vers qui tournent-ils les yeux ? Vers la France. Un petit-neveu de saint Louis, Charles d’Anjou, est élu roi de Hongrie par les acclamations populaires, et la Hongrie, depuis saint Etienne, n’a pas eu de souverain plus glorieux. Pendant tout le XIVe siècle, ce sont des princes de la maison d’Anjou qui gouvernent cette race généreuse et la préparent aux luttes du siècle suivant : Hunyade et Mathias Corvin n’ont fait que poursuivre la tâche commencée par une dynastie française. Qui se souvient aujourd’hui de ces héroïques aventures ? Notre France est ainsi faite : prodigue de son génie, elle accomplit de grandes choses et n’en garde pas la mémoire. M. Amédée Thierry n’est pas de ceux qui oublient si aisément les titres de nos pères. Il n’avait pas à tracer l’histoire de la Hongrie, son récit s’arrête au moment où les compagnons d’Arpad s’établissent dans la vallée du Danube : il se gardera bien cependant d’omettre une telle indication ; l’image des princes de la maison d’Anjou termine cette galerie où brillent, d’Attila jusqu’à Arpad et d’Aétius à Mathias Corvin, tant de noms diversement fameux.

Ainsi la pensée de la France nous est sans cesse présente dans cette vaste peinture des bouleversemens de l’Europe orientale. Les rapprochemens les plus inattendus sont marqués d’une main sûre et provoquent la méditation. Une des plus curieuses péripéties de ce long drame, c’est à coup sûr la transformation de ces neveux d’Attila, qui, civilisés par un neveu de saint Louis, deviennent les plus