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le parfum des fleurs, sait chanter le printemps, parler du soleil, qu’il connaît toute une flore et toute une faune auxquelles n’a point pris garde le voyageur trop enthousiaste des glaciers. L’Européen qui chante l’Orient s’enivre de soleil, et croit ne pouvoir jamais mettre dans ses vers assez de fleurs, de parfums et de voluptés; mais ouvrez un poète oriental, et vous n’y trouverez pas plus de roses qu’il ne faut, fût-ce même chez le chantre de Gulistan ou des amours de Boulboul; l’exagération admiratrice aura disparu, et les choses auront toutes repris leur véritable mesure. La familiarité, l’intimité avec les choses rétablit mille nuances que l’admiration passagère et l’imagination ne peuvent pas apercevoir.

Le poème de M. Longfellow confirme cette observation. La nature américaine y apparaît toute différente de ce qu’elle est aux yeux d’un Européen. Cette nature, qui semble si imposante aux voyageurs modernes, et dont M. de Chateaubriand s’est plu à nous décrire avant tout les côtés terribles ou les irrésistibles et dangereuses séductions, se révèle à nous sous un aspect tout familier. Nous sentons qu’elle tient en réserve pour ceux qui vivent dans son intimité, pour l’Indien chasseur nomade, pour le pionnier, pour le colon, des douceurs et des caresses qu’ignorent ceux qui n’ont fait que la traverser. Ce n’est plus une dangereuse Circé, abondante en plaisirs, riche en poisons, magnifiquement vêtue de ses savanes et de ses forêts vierges, comme pour une fête des sens; c’est une bonne et bienfaisante nourrice qui a souci du bien-être et de la santé de ses enfans. Les forêts sont pleines d’ombres rafraîchissantes; les hautes herbes ondulent dans les immenses prairies avec un doux frémissement, tout semblable à celui de la moisson courbée sous le vent; les fleuves et les lacs fourmillent de poissons, les marécages sont peuplés d’oiseaux. Toute cette nature étrange perd sa singularité, et se présente à nous comme un paysage connu, dont nous savons par cœur tous les détails. Nous ne redoutons plus ni la bête sauvage, ni le marais pestilentiel, ni la fleur aux parfums empoisonnés, ni le dangereux serpent. Tel est le sentiment de la nature américaine qui règne dans le poème de M. Longfellow : il n’est pas grandiose, il est familier; il résulte en quelque sorte d’une longue habitude, et il nous fait partager quelque chose de cette impression. Le plus grand éloge qu’on puisse faire de ses descriptions de la nature, c’est certainement de dire qu’elles charment plus qu’elles n’étonnent, et qu’elles inspirent plutôt une impression de bonheur qu’une impression d’admiration.

On a beaucoup chicané M. Longfellow sur l’originalité de son poème; une controverse s’est même engagée pour savoir si le mythe qui fait le fond de cette œuvre est une véritable tradition indienne, ou si M. Longfellow, qui est familier avec les littératures du Nord,