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est prête pour de nouveau-venus, pour ces hommes au visage pâle qui arrivent des contrées du soleil.

Tel est ce gracieux poème, œuvre délicate et véritablement exquise où se trouvent toutes les qualités de M. Longfellow, et où ses défauts même deviennent des qualités. La musique de son vers accompagne harmonieusement les voix de la nature qu’il veut faire parler; sa douceur un peu vague et molle est bien à sa place en un pareil sujet; sa monotonie fréquente n’a ici rien qui déplaise, elle est bien conforme au sentiment qu’il a essayé d’exprimer. C’est une lecture rafraîchissante et doucement enivrante comme les tièdes brises des bois et les arômes de la nature. Deux qualités recommandent avant toutes les autres cette œuvre remarquable : c’est d’abord un mélange extrêmement heureux du génie épique et du génie lyrique, mélange qui était nécessaire pour reproduire la vie indienne, dans laquelle l’héroïsme naturel à l’âme humaine primitive est comme étouffé sous le lyrisme absorbant de la nature. Puis le Chant d’Hiawatha est bien une œuvre américaine : là nous n’avons plus ces souvenirs de la poésie européenne auxquels se laisse si facilement aller M. Longfellow, ces réminiscences littéraires des bords du Rhin, des rues de Bruges, des cloîtres du moyen âge, pour lesquelles le poète a oublié si souvent les prairies et les lacs de son pays. Tout est américain et ne parle que de l’Amérique. Quoique fondé sur une légende indienne, c’est en bien des sens un poème national. Puisse le succès de cette œuvre charmante persuader à M. Longfellow de marcher dans cette voie sans être tenté d’en sortir désormais ! Le public européen est resté froid devant ses Légendes dorées, ses Hyperion, ses Étudians espagnols; mais toutes les fois qu’il a essayé de chanter la nature américaine, ou d’exprimer les sentimens américains modernes, M. Longfellow a conquis toutes les sympathies. Hiawatha, Evangeline, Excelsior, le Psaume de la Vie, voilà ses véritables titres littéraires. Que ce soit en même temps un avertissement aux poètes européens qui seraient trop possédés du désir de chanter la nature tropicale ou d’exprimer des sentimens d’autant plus séduisans qu’ils ne leur sont pas familiers.


EMILE MONTEGUT.