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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/770

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nature, auront beau s’obstiner dans leur opinion : bon gré, mal gré, ils seront forcés de céder à l’évidence. Quand les hommes les plus habiles, qui reproduisent avec une adresse merveilleuse le tronc d’un chêne, les brins de mousse et le lichen, verront la foule passer indifférente devant leurs tours de force, il faudra bien qu’ils changent d’avis pour ressaisir leur popularité. À cet égard, je suis sans inquiétude : le temps fera ce que mes paroles ne peuvent faire aujourd’hui. Je me fie à la bonté de ma cause pour achever ce que je commence.

Les objections ne manquent pas. L’intervention de la pensée dans le paysage est traitée de rêverie par des hommes d’un mérite réel, que je louerai toujours avec empressement, parce qu’ils ont dépensé les plus belles années de leur vie dans un travail sérieux. Je rends pleine justice à la persévérance de leurs efforts, et je reconnais sans hésiter qu’ils possèdent une part de la vérité ; mais cette part est-elle la plus belle ? La solution n’est pas difficile à deviner. Ou les trois maîtres que j’ai choisis, et qui sont les plus illustres dans le domaine du paysage, ont abusé leurs contemporains et la postérité, ou l’imitation n’est que la moitié de l’art. Ceux qui excellent dans l’imitation disposent d’un moyen sans doute très puissant, mais ils se méprennent sur l’emploi de ce moyen. Doués d’un regard pénétrant, au lieu de chercher le but vers lequel ils doivent marcher, ils comptent les cailloux et les brins d’herbe du chemin. À l’heure où nous parlons, ils peuvent railler nos théories tout à leur aise : ils ont pour eux le succès, et l’engouement des amateurs leur donne beau jeu contre nous ; mais nous avons pour nous les œuvres consacrées depuis longtemps par une légitime admiration, et nous ne craignons pas les railleries. Dans le domaine du paysage comme dans le domaine de la peinture historique ou religieuse, la renommée ne s’attache qu’à l’expression de la pensée. Un regard attentif, une main habile ne donnent que des succès de courte durée. Ruysdaël, le Lorrain, Nicolas Poussin se proposaient un but moins facile à toucher que l’imitation littérale, et leur gloire n’est pas entamée.

Toute œuvre qui n’a pas un caractère personnel est condamnée à périr, c’est-à-dire à tomber dans l’oubli. Or, quoique tous les hommes voués à la pratique de la peinture n’envisagent pas la réalité vivante ou inanimée sous le même aspect, il est pourtant hors de doute qu’ils ne sauraient apporter une grande variété dans la représentation de ce qu’ils voient. Tant qu’ils demeurent sur le terrain de l’imitation, quelle que soit la diversité de leurs facultés, l’inégalité de leurs forces, la comparaison ne s’établit qu’entre la copie et le modèle. Quel que soit le degré d’habileté, c’est toujours une œuvre impersonnelle. Dès que la pensée, dès que l’émotion n’in-