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composition. Inventer leur paraît une chose secondaire; les toiles qui nous viennent des Alpes ou des Pyrénées s’adressent aux yeux, et ceux qui les signent ne songent guère à susciter en nous des pensées nouvelles.

Ce qui se passe ne m’étonne pas. Je crois que la peinture de paysage est engagée dans une route qui ne mène ni à la vérité ni à la renommée; mais il n’était pas difficile de prévoir ce qui arrive. Pendant que Louis David demandait aux statues antiques la régénération de la peinture historique, le paysage, dont il n’avait aucun souci, tâchait d’atteindre à la noblesse en négligeant l’imitation de la nature. Les œuvres qui prétendaient au grand style, et qu’on admirait sur parole, n’obtiennent aujourd’hui que notre indifférence, quand elles n’excitent pas notre hilarité. Les peintres de nos jours qui s’occupent de paysage ont voulu réagir contre le faux goût de l’époque impériale. L’intention était excellente; mais en cherchant le style naïf, ils ont trouvé le style prosaïque. Sans doute ils sont plus près de la vérité que leurs devanciers immédiats ; ils se trompent pourtant s’ils croient conquérir une place glorieuse en s’arrêtant au point où ils sont parvenus. Le paysage de l’époque présente, quoique très supérieur au paysage de l’époque impériale, ne mérite pas encore d’être comparé aux plus belles œuvres du genre. Tant qu’il ne consentira pas à devenir poétique, ou, pour parler plus exactement, tant qu’il n’essaiera pas de le devenir, il ne sera pour les esprits élevés qu’un art secondaire. Il sera rangé parmi les passe-temps agréables, et ne sera vraiment rien de plus. Il a de plus hautes prétentions, et la faveur dont il jouit est pour lui sans doute un argument victorieux; toutefois, s’il veut prendre dans l’histoire de la peinture un rang aussi élevé que les œuvres de Ruysdaël et de Nicolas Poussin, il faut absolument qu’il renonce à ses habitudes, à ses prédilections.

D’ailleurs la question qui s’agite aujourd’hui à propos du paysage n’est pas nouvelle. Pour peu que nous consultions l’histoire des formes diverses de l’imagination, nous retrouvons la même question à propos de la sculpture, de la poésie. Dans le passé comme dans le présent, nous voyons l’imitation et l’idéal se disputer le domaine de l’art. J’ai dit ce que je pense de l’imitation dans la sculpture, et pour donner à mon avis une autorité que personne ne pût contester, j’ai résumé en quelques pages l’histoire de l’art grec. Je n’ai pas à revenir sur ce point. Dans la poésie, l’imitation et l’idéal ont eu le même sort que dans la sculpture. Si j’avais à présenter des argumens à l’appui de cette affirmation, je n’aurais vraiment que l’embarras du choix. Je trouve chez une nation voisine une démonstration sans réplique. L’imitation et l’idéal sont représentés en An-