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riosité. Or les Italiens sont depuis longtemps blasés sur les beautés de leur pays : ils aiment ce qu’ils ont devant les yeux, ils ne songent pas à le regarder.

Cette explication de leur infériorité dans le paysage ne serait pourtant pas sans réplique. Je ne parle pas des argumens tirés de l’histoire même de la peinture : les paysages de Dominiquin qui se voient à la villa Aldobrandini prouvent que les Italiens ne sont pas inhabiles dans ce genre; mais pour que l’explication proposée fût vraiment satisfaisante, et fermât la bouche aux plus sceptiques, il faudrait supprimer l’exemple de la Hollande, qui compte un grand paysagiste, une foule de paysagistes habiles, et qui cependant n’a cherché qu’en elle-même des sujets d’imitation. L’absence de curiosité ne suffit donc pas pour se rendre compte de l’infériorité de l’Italie dans le domaine du paysage. Il faut chercher ailleurs la cause du fait qui nous occupe. La satiété n’est pas à négliger; mais on pourrait à bon droit demander pourquoi l’Italie serait demeurée indifférente au spectacle de la nature, tandis que la Hollande s’en préoccupait. Je crois que l’histoire particulière de l’Italie répond à toutes les objections. Le gouvernement pontifical devait naturellement encourager la peinture religieuse, et les trésors dont il disposait, trésors renouvelés par la piété des fidèles, avaient une destination marquée d’avance, la décoration des églises. Les plus grands génies de la peinture représentaient sur les murailles du Vatican, de La chapelle Sixtine, les scènes de l’Ancien Testament ou de l’Evangile. Quand on récapitule tout ce qu’il y a de talent dépensé dans les églises de Rome, on s’explique aisément que le temps ait manqué à l’Italie pour s’occuper du paysage. Toutes ses pensées, tous ses efforts dans le domaine de la peinture se portaient vers les sujets religieux. Devons-nous le regretter? Jamais la Genèse, l’Exode, l’Evangile, n’ont été interprétés plus habilement que par les maîtres italiens. Et quand ces génies privilégiés abandonnaient l’Écriture sainte pour aborder la légende, ils n’étaient pas moins heureux. Les paysages de Dominiquin, justement admirés, ne tiennent qu’une très petite place dans la vie de l’auteur. La Tribune de Saint-André-della-Valle, la chapelle de Saint-Basile à Grotta-Ferrata, suffiraient à sa gloire. C’est là qu’il a mis le sceau de son génie. Quand il quittait la figure humaine pour la nature muette, ce n’était pas chez lui un libre choix : il acceptait une commande qu’il ne pouvait refuser.

Je ne m’étonne donc pas que l’Italie ne compte pas un paysagiste du même ordre que Claude Lorrain et Poussin; elle a dépensé tout son génie dans les sujets bibliques. Ceux qui auraient tenté de représenter la nature inanimée se seraient trouvés aux prises avec la plus dure condition : ils n’auraient pu compter que sur les encouragemens des particuliers; mais à Rome, comme ailleurs, l’exemple des