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plus violemment encore, et l’âcreté des métaphores venimeuses suffit à peine à l’exprimer. Milton les montra « étalés et se chauffant au soleil de la richesse et de l’avancement » comme une couvée de reptiles impurs. « La lie empoisonnée de leur hypocrisie, mêlée en une masse pourrie avec le levain aigri des traditions humaines, est l’œuf de serpent d’où éclora quelque part un antechrist aussi difforme que la tumeur qui le nourrit. »

Tant de grossièretés et de balourdises étaient comme une cuirasse extérieure, indice et défense de la force et de la vie surabondantes qui remplissaient ces membres et ces poitrines de lutteurs. Aujourd’hui l’esprit, plus délié, est devenu plus débile ; les convictions, moins raides, sont devenues moins fortes. L’attention, délivrée de la scolastique pesante et de la Bible tyrannique, s’est trouvée plus molle. Les croyances et les volontés, dissoutes par la tolérance universelle et par les mille chocs contraires des idées multipliées, ont engendré le style exact et fin, instrument de conversation et de plaisir, et chassé le style poétique et rude, arme de guerre et d’enthousiasme. Si nous avons effacé chez nous la férocité et la sottise, nous avons diminué chez nous la force et la grandeur.

La force et la grandeur éclatent chez Milton, étalées dans ses opinions et dans son style, sources de sa croyance et de son talent.

Cette superbe raison aspirait à se déployer sans entraves ; elle demanda que la raison pût se déployer sans entraves. Elle réclama pour l’humanité ce qu’elle souhaitait pour elle-même, et revendiqua dans tous ses écrits toutes les libertés. Dès l’abord il attaqua les prélats ventrus[1], « parvenus scolastiques, » persécuteurs de la discussion libre, tyrans gagés des consciences chrétiennes. Par-dessus la clameur de la révolution protestante, on entendit sa voix qui tonnait contre la tradition et l’obéissance. Il railla durement les théologiens pédans, adorateurs dévots des vieux textes, qui prennent un martyrologe moisi pour un argument solide et répondent à une démonstration par une citation. Il déclara que la plupart des pères furent des intrigans turbulens et bavards, qu’assemblés, ils ne valaient pas mieux qu’isolés, que leurs conciles sont des amas de menées sourdes et de disputes vaines ; il répudia leur autorité et leur exemple, et pour seule interprète de l’Écriture institua la logique. Puritain contre les évêques, indépendant contre les presbytériens, il fut toujours le maître de sa pensée et l’inventeur de sa croyance. Nul n’a plus aimé, pratiqué et loué l’usage libre, entier et hardi de la raison. Il l’exerça jusqu’à la témérité et jusqu’au scandale. Il se révolta contre la coutume[2], reine illégitime de la croyance hu-

  1. Of Reformation in England.
  2. The Doctrine and Discipline of Divorce.