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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/918

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coup plus recherchés. Il ne paraît pas qu’ils se fussent encore avisés de composer et de représenter des pièces de théâtre. Leurs jeux publics consistaient dans des imitations de combats qui dégénéraient ordinairement en luttes sérieuses et toujours sanglantes. Chez de tels hommes, les coups de poing étaient plus estimés que les traits d’esprit : la simplicité des mœurs voulait des récréations simples comme elles.

C’est cette simplicité plus féroce que naïve qui grandit à distance les arts de ces époques antiques, et qui a fait penser que cette simplicité était à elle seule une beauté. Écoutons ce que dit à ce sujet un spirituel critique dans une étude des plus intéressantes sur les anciens et sur Virgile en particulier[1] : « C’est un grand point de venir le premier. On prend le meilleur, même sans choisir; on peut être simple, même sans savoir le prix de la simplicité... Je crains qu’on ne prenne souvent l’absence de l’art pour le comble de l’art même. Si l’art, dans la suite de son développement et de ses efforts, n’aboutit qu’à produire des artistes toujours moindres, on me pardonnera d’avoir une profonde compassion pour des époques qui ne peuvent se passer du labeur compliqué de l’art. Je demande qu’on ne soit pas trop dupe d’un grand mot, la simplicité, et qu’on veuille bien ne pas faire de la simplicité la règle des temps où elle n’est plus possible. »

Cette simplicité dont on parle ici est peut-être plus apparente que réelle; il y a souvent beaucoup d’emphase et d’images ampoulées dans les ouvrages de ces époques lointaines. Des hommes vivant près de la nature ont dû employer dans leurs arts des moyens moins recherchés, et les expressions dont ils se servent ont quelque chose de la rudesse de leur civilisation ébauchée; mais on se trompe en cherchant à leur faire un mérite de cette rudesse même : leur prétendue simplicité est dans l’habit qu’ils donnent à la pensée plus que dans la pensée elle-même. Cet art merveilleux qui cache l’art chez les modernes, celui d’être clair et en même temps pathétique, ne se rencontre guère dans les ouvrages primitifs. Les images gigantesques s’y mêlent trop souvent à un sens obscur. La Bible, toute respectable qu’elle est, offre d’étranges licences, et je ne parle ici que de la partie qui a rapport à l’art.

Il ne manque pas de gens qui préfèrent Homère à tout et qui le justifient sur tout, quoiqu’ils ne le connaissent que pour l’avoir lu dans de plates traductions. Ils ne laissent pas de s’extasier sur cette belle langue grecque, et surtout sur son harmonie inimitable, qu’ils ne peuvent apprécier, comme nous tous, que pour l’avoir entendu prononcer à la française par des professeurs de sixième.

  1. M. Éd. Thierry, Moniteur du 17 mars 1857.