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comme dans les cours. Archimède inventait des théorèmes dans une ville assiégée, et Paul-Louis Courier lisait Homère entre deux batailles.

Les travaux scientifiques de M. Biot ne l’ont pas empêché de s’intéresser à toutes les choses, à tous les événemens de son temps. Les sujets les plus divers l’ont occupé : l’économie sociale, l’éducation publique, les recherches historiques, les découvertes géographiques, la littérature. On trouvera dans les Mélanges, à côté d’une étude sur Montaigne, des dissertations sur la condition du peuple en Écosse, sur l’agriculture dans l’ancienne Normandie, sur la situation de l’Irlande. En exerçant sur des matières si diverses son esprit critique, M. Biot n’a nui en aucune façon à ses recherches astronomiques et physiques. Quelques-uns de ces travaux variés mériteraient une analyse spéciale ; mais elle ne pourrait rentrer dans le plan de cette étude, où l’on a cherché surtout à faire apprécier l’importance en même temps que les difficultés et les caractères particuliers de l’histoire scientifique. Les pages que M. Biot a écrites sur Galilée et Newton en sont à certains égards d’excellens modèles, et on a dû s’y arrêter de préférence, fin choisissant dans le plus grand siècle scientifique deux noms illustres, dont l’un en marque le début, l’autre la fin, on voit comment dans un temps si court la méthode expérimentale et le raisonnement ont traversé tout l’espace qui sépare l’ignorance la plus profonde de la connaissance des lois les plus générales de l’univers. Dans ce grand mouvement des esprits, l’historien doit apprécier le rôle particulier de tous ceux qui y ont été mêlés, montrer ce que chacun doit aux autres et ce qu’il leur a donné : tâche souvent très difficile, et qui exige, en même temps qu’une vaste érudition, un sentiment critique des plus délicats. C’est cette partie scientifique des Mélanges de M. Biot qui mérite les plus grands éloges. Il ne se contente pas d’analyser d’une manière fidèle les travaux des grands hommes dont il s’occupe ; il ne les présente jamais isolés : on les voit précédés, entourés de tous ceux dont ils ont emprunté le secours. Quand M. Biot montre Napier, ce chef singulier d’une singulière famille où l’audace et la bizarrerie semblent héréditaires, découvrant les logarithmes dans son château féodal, il n’oublie pas de remarquer que, sans le secours inespéré de cette précieuse invention, Kepler n’aurait pu achever ses fameuses Tables rudolphines, et que le génie mathématique de Newton n’aurait dès lors pas trouvé tout préparés les élémens qui servirent de base à la théorie de l’attraction universelle.

Cette intime solidarité des sciences est une des considérations auxquelles la critique scientifique doit le plus s’attacher. La dépendance mutuelle des esprits n’a rien d’humiliant pour les individus :