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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/236

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IV.

LE PHARE


Parmi les noirs brisans où le flot tourbillonne,
Le phare vers la nue élève sa colonne.
Pilier de blocs massifs qu’unit un dur ciment,
Il surgit solitaire, ainsi qu’un monument.
Des vagues à ses pieds la fureur se déchaîne :
On dirait que la mer assiège de sa haine
Cette tour qui, montrant le péril aux vaisseaux,
La frustre d’un butin convoité par ses eaux.
Le soir vient, l’horizon s’efface dans la brume ;
Sur la tour aussitôt le fanal se rallume ;
Avant même qu’au ciel une étoile ait relui,
Un astre éclaire l’onde, et cet astre, c’est lui !
Foyer de vifs rayons dont la lueur éclate,
Il enflamme les airs d’une teinte écarlate,
Et, sur l’océan noir, son reflet1 projeté
Semble un chemin de feu par-la houle agité.

Averti des écueils dont ce bord se hérisse,
Le navire alors cherche une onde plus propice ;
Il veille à sa manœuvre, et, le long du canal,
Rend grâce en le fuyant au lumineux fanal.
Des nochers en péril ce guide manifeste
À d’autres voyageurs sera pourtant funeste.
Il en est qui par lui sont pris en trahison :
Ceux-là sont les oiseaux bercés à l’horizon,
Ce sont les passagers du vent et de la nue.
La saison froide et triste étant déjà venue,
En colonne, en triangle, ils traversaient les airs,
Cherchant au loin des cieux plus tièdes et plus clairs.
Voilà qu’au bord des flots l’ardent soleil du phare
Brille, et dans leur essor les trouble et les égare.
Eux qui des cieux profonds savent chaque sentier,
Qui firent sans erreur le tour du globe entier,
Pour la première fois, suspendus par le doute,
Se laissent détourner de l’infaillible route ;
Ils veulent de plus près, dans l’ombre de la nuit,
Voir l’étrange soleil dont l’éclat les séduit.