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herbivores alimentent le mieux les carnassiers : il n’en faut pas davantage pour ouvrir une voie fructueuse aux études et aux applications.

S’il est sur nos côtes un lieu bien situé pour la recherche des conditions d’aménagement de la richesse ichthyologique des eaux marines, c’est Cherbourg. La rade offre une vaste nappe d’eau tranquille ; au dehors se promènent des courans rapides : à l’est sont compris, entre le Cap-Lévy et la pointe de Barfleur, ces hauts-fonds tapissés de varechs qu’Horace aurait volontiers appelés les pâturages des troupeaux de Protée ; à l’ouest, l’immense fossé sous-marin qui, sous le nom de Fosse de La Hague, enveloppe le cap à peu de distance de la terre, explique peut-être, par la retraite profonde qu’il offre aux poissons, l’abondance qui règne dans les eaux vives du Raz-Blanchard. Le succès des semis d’huîtres faits par M. Coste dans la baie de Saint-Brieuc est un appel au repeuplement de ces bancs adjacens au rivage occidental de La Hague, auxquels le nom de l’Huîtrière, qu’ils conservent, semble reprocher leur pénurie actuelle, et de ceux dont M. de Bavre constatait en 1783 la richesse presque sur la ligne que traçait M. de Cessart pour le placement de ses cônes. Les roches dentelées dont est bordée la presqu’île du Cotentin semblent donc faites pour servir de demeure à d’innombrables familles de crustacés. Le homard abonde au nord et à l’ouest de la presqu’île de La Hague, et l’on ne sait ce qui, devant Omonville, détermine une nombreuse immigration de crabes, qui, grossis dans les profondeurs de la mer, remontent chaque printemps vers la côte et viennent s’offrir aux pièges des pêcheurs.

Ainsi la variété des conditions dans lesquelles se fait la pêche, la richesse et la pauvreté respective de parages adjacens, la récompense qu’assurent à toute observation juste, à tout procédé efficace, les débouchés d’un marché local et d’un chemin de fer, sont réunies à l’entour de Cherbourg. On parle pour Paris d’un aquarium rival de celui de Londres, et de la munificence avec laquelle une compagnie de chemin de fer s’offre à transporter à prix réduit la tonne d’eau de mer nécessaire pour l’alimenter journellement. Que Paris ait son aquarium, rien de mieux ; mais qu’il le garnisse d’eau de la Seine, et se contente de tenir école de repeuplement des eaux douces. La restauration n’a pas réussi à le faire port de commerce ; ne perdons pas notre temps à prétendre le faire port de pêche. Il en coûterait plus pour le transport pendant un an de l’eau de mer nécessaire à l’aquarium de Paris que pour la création d’un aquarium à Cherbourg, et ce fait prosaïque montre combien peu de fondement et d’autorité auraient des observations sur le poisson de mer faites à cinquante lieues de la côte. Le mérite personnel des observateurs