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les qualités qu’il possédait et par celles dont il sut affecter l’apparence. Le duc d’Aiguillon et le chancelier Maupeou poussèrent l’audace dans la lutte jusqu’à des limites où il faudrait la qualifier d’héroïsme, s’ils avaient combattu pour une autre cause. Machault fut un ministre aussi éclairé que résolu, et rarement la royauté avait eu à son service des contrôleurs-généraux de la valeur de Silhouette, Orry, Laverdy, Bertin et Terray. Les armées du roi ne manquèrent pas plus que ses conseils d’hommes de mérite et de valeur. Lowendahl, Broglie et d’Estrées furent de grands hommes de guerre, même en face de Frédéric ; le comte de Saxe apparaît comme un contemporain de Condé et de Turenne, dont il possède à la fois l’illumination et la prudence. Si les mœurs corrompues du vainqueur de Fontenoy abrégèrent et obscurcirent sa vie, il est juste que la société française du XVIIIe siècle, trop indulgente pour de pareilles faiblesses, prenne ce grief à son compte. Le grand crime de cette société fut en réalité d’avoir fait avorter la plupart des qualités natives départies à une génération très bien douée. Que ne fussent pas devenus, sous un pouvoir énergique et dans un autre milieu, des hommes de la trempe de MM. de Belle-Isle par exemple, ou même un personnage tel que le maréchal de Richelieu, dont la vie militaire, commencée par la prise de Minorque, dut s’achever aux pieds de Mme Du Barry ? Si ceux-là ne furent guère que de brillans aventuriers, si celui-ci prit et conserva durant trente ans le rôle honteux d’entremetteur, c’est que dans ces déplorables temps les voies naturelles étaient fermées à la grande et légitime ambition. De pareilles déchéances n’étaient possibles que dans une telle époque et sous un tel prince.

Si, durant la vieillesse de Louis XIV, les hommes firent défaut au monarque, ce fut le pouvoir seul qui manqua sous son successeur à la France rajeunie et transformée. Depuis que toutes les forces sociales y avaient été absorbées par l’autorité monarchique, un grand roi ou un ministre de génie était devenu le premier besoin du pays et la condition même de son existence politique. C’est parce qu’elle avait eu presque constamment l’heureuse fortune de posséder l’un ou l’autre depuis plus d’un siècle que la France avait marché d’un pas si rapide. Le vide fut donc immense, et le mal sans remède, lorsqu’à la mort de Fleury Louis XV se déclara résolu à ne déléguer à personne une autorité dont l’exercice direct soulevait pourtant en lui d’invincibles répugnances. Inerte et mélancolique jusqu’au sein des voluptés, assistant en spectateur blasé aux événemens de son règne et ne se méfiant pas moins des autres que de lui-même, l’élève du vieux cardinal était un Louis XIII libertin, dont une maîtresse devint le Richelieu.

Ce ne fut qu’après de longs efforts pour se dérober à la plus triste