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palais, en se faisant attribuer le tabouret et les honneurs de duchesse, Mme de Pompadour, bien loin de conquérir de la force, avait engagé contre l’opinion une lutte imprudente. Si la reine persistait à n’opposer aux outrages réitérés de son époux qu’une inaltérable résignation, ses quatre filles, surtout le prince son fils, saisissaient toutes les occasions pour faire payer par des dédains publics à la rivale de leur malheureuse mère le prix de tant de larmes. Or le dauphin était devenu le centre de tout le parti religieux, attaqué simultanément par le jansénisme et par la philosophie, et la force des choses lui avait donné un rôle qui inquiétait singulièrement son père. Mme de Pompadour, méprisée par le prince, trop justement odieuse au parti dont il était l’espérance, en fut donc l’antagoniste implacable. Sa ligne de conduite se trouva dès lors toute tracée. Si étrange que cela puisse paraître, Mme de Pompadour se fit janséniste ; elle servit avec toute la violence de sa passion et de ses secrets ressentimens la magistrature contre le clergé, et bientôt après la philosophie contre les jésuites. Depuis la querelle des billets de confession jusqu’à la destruction de la société de Jésus, elle fut l’allié dont on parla le moins et sur lequel on compta le plus.

Un débat aussi mesquin dans l’hypocrisie de ses formules qu’il était sérieux dans les intérêts cachés sous celles-ci troublait la France depuis les dernières années de Louis XIV. Les parlemens se refusaient à reconnaître la constitution unigenitus comme règle de foi et loi de l’état ; le clergé de son côté prétendait au droit d’écarter des sacremens, patrimoine exclusif des fidèles, ceux qui repoussaient avec une systématique obstination la définition d’un point de doctrine canoniquement donnée parle saint-siège et acceptée par l’univers catholique. Cependant les magistrats, en attaquant cette bulle fameuse, n’étaient stimulés, encore qu’ils affectassent de le paraître, ni par des scrupules religieux ni par des scrupules monarchiques. Il s’agissait bien moins de sauver la doctrine de saint Augustin et l’indépendance temporelle des couronnes que de profiter de l’agitation des esprits et du trouble des consciences, afin de faire triompher dans toute sa plénitude ce droit de contrôle et de remontrance si souvent reconquis et si souvent retiré. Si les magistrats portaient une haine profonde à l’œuvre de Clément XI, c’est que cette bulle, enregistrée au grand conseil, avait été imposée d’autorité royale aux parlemens. Le but qu’ils se proposaient en soulevant contre ce texte à peu près inconnu les flots de la colère publique, c’était de faire consacrer par l’éclat d’un tel rejet leurs prétentions, chaque jour moins dissimulées, à la puissance législative. Avec le concours des passions jansénistes, alors partagées, au dire de Barbier, par les deux tiers de la population parisienne, il sembla possible de souffleter