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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/322

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contrôleur-général, ministre de la marine et garde des sceaux, avait conçu en 1749 un projet important. Comme tous les contrôleurs-généraux intelligens, il avait été frappé de cette pensée que l’impôt manquait en France de fixité dans les bases et d’équité dans la répartition, car l’arbitraire et les nombreuses exemptions personnelles le rendaient à la fois très odieux et très peu productif. Ce ministre s’efforça donc de ramener une foule de taxes, aussi diverses par l’origine que par le mode de perception, au droit unique d’un vingtième à percevoir sur la totalité des revenus de toute nature. Cette taxe, essentiellement réelle, atteignant toutes les conditions sociales, aurait doublé les ressources financières du pays et hâté l’heure de cette égalité civile déjà pressentie par la nation tout entière. Malheureusement des pouvoirs préoccupés du soin exclusif de se sauvegarder eux-mêmes se trouvèrent tous d’accord pour résister à un projet qui subordonnait les intérêts collectifs aux intérêts nationaux. Quoique l’hostilité prononcée de Machault contre le clergé en fît un ministre très agréable aux parlemens, ceux-ci opposèrent à son projet leur haine accoutumée pour toutes les innovations administratives. D’un autre côté, les pays d’état se tinrent pour perdus, si l’uniformité financière prévalait jamais dans le royaume. Enfin l’église gallicane, déniant à la couronne et le droit de cadastrer ses terres et celui de les imposer, engagea contre le gouvernement une lutte plus passionnée que celle qu’avec une infériorité trop sensible elle soutenait contre l’incrédulité triomphante. Suivant les organes de l’assemblée du clergé, les propriétés ecclésiastiques, à raison de leur caractère spécial, ne pouvaient être soumises à aucune sorte d’imposition ni de contrôle administratif, et le don gratuit était la seule forme selon laquelle l’église fût en mesure de concourir au soulagement des charges publiques. Aberration singulière en présence des signes du temps ! Placer les biens du clergé en dehors du droit commun afin de les dispenser de l’impôt annuel, gage et prix de la protection sociale, c’était en effet fournir les armes les plus terribles aux hommes tout prêts à se lever pour contester l’inviolabilité des propriétés de main-morte ; c’était, à défaut de raisons, préparer au moins des prétextes aux spoliateurs.

Les réformes les plus nécessaires étaient ainsi rendues comme impossibles par la fascination générale qui semblait entraîner alors tous les grands corps vers l’abîme. Pendant que les suspicions permanentes des pays d’état et les tiraillemens de la magistrature et du clergé entravaient l’action administrative, la royauté s’affaissait sous le poids du mépris public. De 1748 à 1756, dans l’intervalle qui sépare la paix d’Aix-la-Chapelle du commencement de la guerre de sept ans, une révolution aussi complète que soudaine s’était opérée