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désignés par le gouverneur ou par le commandant de la citadelle, « qui est bien aise d’avoir des hommes à sa dévotion. » Nous voyons bien, lorsqu’il s’agit d’ériger les fonctions municipales en titre d’offices héréditaires, que le préambule de l’édit de 1692 s’en prend aux méfaits des brigues et de la cabale ; mais si le mal des communes était venu d’officiers municipaux librement élus, si ce sont ces officiers que le peuple en Provence appelait des mange-communes, la suppression des municipalités électives aurait été accueillie comme un bienfait, et partout elle eût excité la reconnaissance des populations. Les communes eussent été trop heureuses d’être débarrassées de libertés funestes, et n’auraient point ajouté à leur ruine pour les reconquérir. La ville de Dijon n’aurait pas offert 150,000 livres pour conserver son ancien maire et ses anciens échevins. Après de nouvelles confiscations des libertés municipales, les états du Languedoc n’auraient pas voté 500,000 livres pour les rendre aux communes de la province. Sept fois dans l’espace de quatre-vingts ans, les communes n’auraient pas eu recours aux mêmes sacrifices pour recouvrer le même régime. Enfin, et cette raison domine toutes les autres, il faut croire que le gouvernement n’aurait pas consenti, même en recevant finance, à restituer aux communes une administration qui n’aurait engendré pour elles que le désordre et le gaspillage.

Vers 1600, lorsque Colbert entreprit la réforme des finances, il trouva les communes accablées de dettes ; des délégués expédiés dans les provinces furent chargés de la tâche difficile d’établir leur situation et d’aviser aux moyens de la liquider. La correspondance qui s’engagea à cette occasion entre le ministre et les délégués est fort curieuse à consulter. Les vices que renfermait alors l’administration communale s’y révèlent assez clairement, bien qu’ils n’aient pas assez frappé le grand économe qui rétablissait l’ordre un peu partout dans les affaires de l’état. Le premier de ces vices, nous venons de le signaler, c’était l’absence de toute liberté municipale. Les fonctions municipales n’étaient pas encore érigées en offices, mais depuis longtemps déjà elles étaient conférées par le gouvernement, qui en cela comme en toute chose ne voulait avoir que des agens. Ce qui le préoccupait avant tout dans les communes, c’était la rentrée de l’impôt ; l’impôt était fixé en bloc pour chaque commune, et réparti entre les habitans par les officiers municipaux. En Languedoc survivait même la lourde charge des curiales : les consuls étaient considérés comme les collecteurs nés de la taille ; c’étaient eux qui en affermaient la perception, et en cas de malversation par les fermiers, ils pouvaient être poursuivis par le trésor. Dans la plupart des autres contrées, la responsabilité pesait sur tous les habitans, ou plutôt sur ceux des habitans qui n’avaient pas un motif