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fonctionnaires avec une persévérance fascinatrice, grâce d’abord aux spéculations de terrains où la ville était nécessairement toujours engagée, et grâce aussi à la hausse subite de toutes les valeurs foncières[1], car il en était résulté une inextricable confusion dans les titres de prppriété. C’était par exemple un préfet de district qui donnait l’ordre au juge de paix de vendre à vil prix des terrains publics ; la cour de première instance annulait la vente, le préfet annulait la décision de la cour, et les acheteurs restaient en possession d’un titre plus que contestable. Dans ces vols légaux, qui se reproduisaient incessamment, les acquéreurs avaient intérêt à laisser en question la validité de la vente pour acheter à plus bas prix ; mais il survenait parfois des circonstances où le droit de propriété était mis en cause sur une bien plus vaste échelle. Un bureau spécial (Board of Land’s commissionners) avait été institué pour régler ces sortes de contestations ; l’on vit un Français s’y présenter muni de papiers parfaitement en règle, desquels il résultait qu’en 1843 il avait fourni à l’administration mexicaine de la Californie certaines valeurs, argent et marchandises, en échange desquelles le gouverneur alors en fonctions, don Manuel Micheltorrena, lui avait octroyé des lots fort étendus, situés en partie sur l’emplacement actuel de San-Francisco. En d’autres termes, le plaignant réclamait en toute propriété d’abord une grande moitié de la ville, plus environ quatre lieues de terrain dans le voisinage immédiat, plus les îles de la rade, plus enfin une centaine de lieues carrées réparties sur divers points de l’état de Californie, le tout pour 25,000 fr., montant des valeurs fournies par lui en 1843 ! L’énormité de ces prétentions suffisait à les rendre inadmissibles, eussent-elles même été complètement fondées en droit ; mais j’ignore la solution de cette curieuse affaire, si tant est qu’il y ait eu solution.

En Angleterre, la possession équivaut, dit-on, aux neuf dixièmes de la loi ; aux États-Unis, et surtout en Californie, on peut littéralement dire que possession vaut titre. C’est même la base d’une des coutumes les plus répandues dans le pays, du squatterism. Ce mot demande une explication, que nous trouvons dans un intéressant rapport récemment publié par la chambre des communes d’Angleterre[2] : « Le squatter, y dit sir George Simpson, gouverneur des territoires de la baie d’Hudson, est celui qui s’établit sur un terrain sans titres de propriété. » On le voit, la définition est claire ; l’application

  1. Un ancien consul américain sous la domination mexicaine, M, Leidosdorff, mourait en 1848, laissant des affaires assez embrouillées qui se résumaient en un passif d’environ 300,000 francs. Deux ans après, sa succession, liquidée par les soins de l’administration municipale, valait près de 6 millions.
  2. Report of the Select Committee on the Hudson’s bay Compqny, Londres 1857.