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semble pas cependant que la cause de la religion protestante eût beaucoup à gagner à ce qu’une barrière infranchissable s’élevât entre les consistoires et un homme d’une aussi haute valeur que M. Colani. Ce sont là des questions fort délicates, les plus délicates de toutes, et c’est pour cela que nous formerons toujours le vœu de les voir résolues dans la pratique tout autrement que dans la controverse. La dialectique théologique doit être inexorable sur les différences ; la piété doit mettre sa gloire à les oublier.

En résumé, quel que puisse être le rapprochement entre toutes les âmes religieuses, elles se répartiront toujours entre ces trois classes de croyans, les philosophes théistes, les sectes protestantes, l’église catholique. Les sectes toucheront à la philosophie par les dissidens ariens de diverses nuances, au catholicisme par les églises constituées comme celles d’Angleterre ou de Suède. La liberté religieuse, le jour où elle sera universellement établie, pourra effacer à la longue entre les trois grands partis tous les sentimens hostiles qui leur restent des temps de guerre et d’oppression. Avant cette époque si désirée, la tolérance, l’équité, la charité, surtout la raison, devront rendre parfois leurs rapports bienveillans et doux. Enfin dans certains cas une heureuse inspiration du cœur, un grand intérêt d’humanité pourra les rallier, et même coaliser leurs vœux et leurs efforts ; mais ce bon accord ne sera jamais tel qu’il annule sur tous les points et pour tous les temps les différences et les différends qui les séparent. Il y a dans la nature humaine des données primitives, des raisons permanentes, qui rendent presque nécessaire la triple division qui vient d’être rappelée. C’est une question que de savoir s’il serait possible ou désirable qu’elle disparût à jamais. Pour nous, la prenant comme un fait évident et sérieux, il nous suffit de le décrire dans plusieurs de ses détails et de ses variétés. Comme l’Angleterre est un pays singulièrement dépourvu d’uniformité, c’est chez elle qu’on peut les chercher et les étudier avec le plus d’assurance de ne point perdre sa peine. Jusqu’ici nous avons montré quelques-uns des rameaux où va se divisant et s’affaiblissant la notion d’une orthodoxie impérative pour la raison, notion dont le type le plus absolu réside dans l’église catholique. Le christianisme a ainsi été conduit jusque sur les frontières de la philosophie. Maintenant, revenant sur nos pas, nous aimerions à diriger nos recherches dans un autre sens, et à recueillir dans la mêlée des sectes et des doctrines britanniques d’autres exemples de foi réfléchie qui nous montrent moins comme on sort des églises constituées que comme on y rentre ou l’on y reste, en essayant, ainsi qu’Arnold, de les transformer.


CHARLES DE REMUSAT.