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ne voyons aucune utilité à suivre les conjectures auxquelles la presse britannique s’est livrée à propos de la nouvelle attitude de la politique française. Nous espérons que la presse anglaise, subissant l’entraînement de l’opinion, aura exagéré l’imminence des dangers entrevus. Une chose est certaine quant aux dispositions générales de l’Angleterre. Ces dispositions sont essentiellement pacifiques, et l’Angleterre saurait mauvais gré à la puissance par l’initiative de laquelle la paix de l’Europe serait troublée. Cette réserve faite, et elle s’applique à tous les partis, il n’est pas douteux que la question italienne ne rencontre point en Angleterre une parfaite unité d’opinion. Il tombe sous le sens que les Anglais n’ont aucun goût pour la domination autrichienne en Lombardie, nulle sympathie pour le gouvernement du pape, et que le roi de Naples, malgré l’amnistie tardive qu’il vient d’accorder à plusieurs de ces condamnés politiques sur le sort desquels a si longtemps gémi l’Europe éclairée, aura grand’peine à regagner leurs bonnes grâces. Le parti whig et le parti radical ont toujours encouragé les espérances de l’Italie libérale, et l’on n’a pas oublié le célèbre voyage accompli en 1847 par le beau-père de lord John Russell, lord Minto, voyage qui alors exerça sur le mouvement des esprits et des choses en Italie une influence que la prudence politique ne sanctionna pas toujours. Cependant l’Angleterre ne verrait pas de bon œil l’indépendance de l’Italie poursuivie par les combats, et malgré leurs affinités avec les libéraux italiens, il y aurait à craindre que les Anglais n’oubliassent le sort même de l’Italie à la première des inévitables déviations auxquelles est exposée une guerre qui met aux prises des puissances de premier ordre. Cette crainte serait encore plus fondée à l’égard de la Prusse. Mais à quoi bon ces suppositions oiseuses ? Constatons seulement que le discours du prince-régent à l’ouverture des chambres prussiennes garde un silence absolu sur les complications redoutées par le public. Ce discours, d’ailleurs tout empreint de ce patriotisme militaire et prussien dont, comme on sait, le prince-régent est animé, n’offre aux étrangers qu’un intérêt médiocre. Que dire de l’Autriche, objet de l’émotion générale qui agite l’Europe, sinon qu’elle a répondu par des envois de troupes en Lombardie aux menaces de la question italienne ? Quelques conservateurs trop optimistes voient une garantie pour la paix dans ce déploiement rapide d’armemens qui ne permettrait point à une insurrection lombarde de se développer et peut-être de naître. Nous ne partageons point une confiance inspirée par de tels motifs ; nous sommes d’avis que l’Autriche, si elle veut contribuer pour sa part à calmer le trouble actuel, fera bien de modérer les envois de troupes en Italie. Jusqu’à présent en effet, les grandes concentrations militaires opérées par une puissance n’ont jamais manqué, l’histoire en fait foi, de provoquer des représailles en sens contraire, et c’est toujours par cette triste concurrence des arméniens que les guerres ont commencé.

Lorsque le général O’Donnell recevait, il y a six mois, de la reine Isabelle la mission de former un nouveau gouvernement à Madrid, la situation politique de l’Espagne était, sinon périlleuse, du moins assez compliquée et fort incertaine. Sans être extérieurement troublée, elle allait en quelque sorte se perdre dans l’impuissance. Trois ou quatre ministères conservateurs s’étaient succédé, et avaient vu le pouvoir échapper de leurs mains. Avant les