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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/514

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REVUE DRAMATIQUE


Deux tendances opposées se partagent en ce moment l’art dramatique : l’une est le dernier accent de la voix romantique, le suprême soupir de la métaphore qui s’éteint ; l’autre a pour but l’exacte reproduction de la réalité, et répond, dit-on, aux besoins nouveaux de l’esprit public. Deux pièces jouées récemment, Hélène Peyron et Cendrillon, paraissent représenter assez bien ce double mouvement. L’auteur de la première, M. Louis Bouilhet, traduit une inspiration réellement poétique par des réminiscences dont il n’a point su encore dégager une véritable personnalité. On lui a reproché avec raison l’abus des images et des métaphores, la tendance à transformer perpétuellement l’idée en un objet sensible, l’emploi de comparaisons vieillies, de procédés convenus, toutes choses dont l’effet est d’autant plus fâcheux qu’elles sont elles-mêmes le résultat de l’imitation. Ce défaut d’originalité avait déjà frappé la critique, lorsqu’il y a deux ans M. Bouilhet fit représenter à l’Odéon Madame de Montarcy. On avait applaudi de beaux vers, mais il avait bien fallu les saluer pour la plupart comme d’anciennes connaissances. Madame de Montarcy parut le fruit d’une trop récente éducation, et l’on convint d’attendre une seconde épreuve, où l’auteur donnerait sa propre mesure. Cette épreuve est venue, et les mêmes doutes subsistent. La nouvelle tentative de l’auteur de Melœnis est également impersonnelle. Hélène Peyron n’est pour le talent de M. Bouilhet ni un progrès ni une décadence ; c’est la même manière, transportée seulement dans un cadre moins heureux, car la comédie ne s’accommode guère du vers romantique. Au point de vue qu’il a lui-même choisi, M. Bouilhet serait donc l’un des derniers représentans de cette école qui crut remplacer par la poésie lyrique l’analyse régulière des sentimens et le développement logique des caractères. La nullité des personnages, l’absence presque complète de l’action, l’irrégularité du plan sont des défauts assez visibles dans Hélène Peyron. Pourtant, croyons-nous, M. Bouilhet avait tenté d’échapper cette fois, par le choix de son sujet, aux puissantes influences qui avaient dominé complètement son premier drame ; mais la constante préoccupation d’une certaine forme l’a ramené sur l’ecueil qu’il voulait éviter. Ce soin précieux d’un style factice lui a fait oublier et la composition dramatique et l’étude des caractères. Or le style n’est que l’enveloppe de l’idée ; il n’est rien sans elle. M. Bouilhet s’engage donc dans une mauvaise voie en transportant dans le style un spectacle que M. Victor Hugo introduisait dans les accessoires dramatiques ; il fait combattre pour l’heureux effet d’une période les mots qui la composent comme autant de partisans isolés. C’est là une erreur et un danger ; le beau dans le style obéit aux lois communes. Ce doit être un ensemble harmonique d’élémens simples.

S’il est puéril d’entreprendre une résurrection du drame romantique, est-il plus sage d’appliquer au théâtre les procédés de l’école qui s’intitule réaliste ? Le grand défaut de cette école est de sacrifier l’ensemble au détail, et de là résulte une cause d’impuissance non moins grave que le culte exagéré de la forme. Quel jugement porter, par exemple, sur M. Barrière,