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liberté d’action, Badji-Rao n’aspira plus qu’à le rompre. On pourrait même affirmer qu’il ne le signait qu’avec la pensée de le violer dans tous ses articles. Assuré d’un appui contre la faction de Holkar, il voulut presque aussitôt former une nouvelle ligue contre ses protecteurs intéressés. Par des lettres secrètes, — dont les copies ont été trouvées plus tard dans son palais, — il engagea le râdja de Nagpour, Raghou-Dji-Bhounslay, et le jeune mahârâdja Dowlat-Rao-Sindyah à marcher sur Pounah avec des forces imposantes.

Depuis sept années déjà, le mahârâdja Dowlat-Rao gouvernait les états de la famille Sindyah. Engagé dans les révolutions qui désolaient l’empire mahratte, mêlé à des événemens désastreux et complice des atrocités commises par Shirzie-Rao, son beau-père, ce jeune prince ne s’apercevait pas du triste état dans lequel était tombé l’héritage de ses ancêtres. Les grandes qualités de Madba-Dji ne revivaient pas en lui; tandis que la puissance et l’autorité de son nom allaient en déclinant, de vils conseillers cherchaient plus à flatter son orgueil qu’à éclairer son esprit. A peine arrivé dans ses provinces du nord, où il avait trop tardé à se rendre, le mahârâdja se vit rappelé dans le Dekkan par les avis du peshwa. C’est précisément au moment où il va traverser la Nerboudda, pour se porter de nouveau vers les provinces du midi, que nous voudrions étudier Dowlat-Rao-Sindyah de plus près, comme le dernier type du râdja indien, enivré du pouvoir, donnant un libre cours à ses fantaisies et se croyant encore la force de lutter contre la prépondérance de la compagnie anglaise. Pour mieux saisir cette physionomie tout asiatique, il n’est pas sans intérêt de la placer dans son milieu le plus habituel, au centre de ces stations militaires que nous appelons un camp, où toutes les classes de la société indienne se trouvent rassemblées, depuis le souverain jusqu’au mendiant.

Les armées en marche offrent dans l’Inde un aspect aussi varié que pittoresque, parce qu’elles n’arrivent jamais à cette uniformité de costumes et à cet ordre rigoureux qui font chez nous la base du service militaire. L’Asiatique, si bien façonné à l’obéissance absolue, garde en soi un petit reste d’indépendance qui se trahit dans tous les détails de sa vie privée. Soldées par leurs chefs, les troupes n’ont point à compter sur la prévoyante sollicitude de l’intendance; elles doivent fournir elles-mêmes à tous leurs besoins : de là ces banyans, marchands de toute sorte qui accompagnent les armées. Avant que celles-ci soient arrivées au lieu de la halte, les banyans sont rendus : ils font agenouiller leurs chameaux et dressent à la hâte leurs tentes triangulaires, qui forment une rue longue d’une lieue, véritable marché, foire en plein air, où s’entassent souvent les objets volés la veille par les troupes irrégulières. C’est au milieu