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de l’oppression des Mahrattes; il ne fit cependant que changer de maîtres. S’il faut en croire certains documens[1], les officiers de Sindyah, et notamment le général français Drugeon, laissaient végéter dans un état voisin de l’indigence l’empereur infirme et ses cinquante-deux enfans, tandis que les chefs mahrattes s’appropriaient les splendides jardins des résidences impériales et gardaient pour eux les sommes considérables extorquées aux populations. Plus généreux et guidés par des sentimens d’équité avec lesquels d’ailleurs leur politique n’était point en désaccord, les vainqueurs accordèrent à la famille du sultan et au vieux souverain de grosses pensions et beaucoup d’honneurs. Il n’y avait plus d’empire de Dehli depuis longtemps déjà; au lieu d’un empereur captif et soumis à de cruelles avanies, il y eut un empereur pensionné, sans pouvoir, sans autorité, une ombre de souverain entouré de beaucoup d’égards et délivré de la crainte d’être maltraité par ses oppresseurs. C’était beaucoup sans doute; mais si la joie de Shah-Alam et des siens fut grande à l’entrée du général Lake dans la ville de Dehli, comme le disent les écrivains anglais, c’est qu’ils se rappelaient la promesse qui leur avait été faite jadis de rétablir l’empire mogol.

Maîtres à Dehli de la personne du sultan, tout-puissans à Pounah, où ils venaient de rétablir le peshwa Badji-Rao, les Anglais se mirent activement à poursuivre les restes des armées de Sindyah. Une troisième victoire qu’ils remportèrent près d’Agra, au village de Laswarye, acheva la destruction des brigades commandées par le général Perron[2]. A la fin de cette désastreuse campagne, Dowlat-Rao-Sindyah avait perdu, avec ses principales forteresses, cinq cents canons fondus par des officiers européens; ses plus vaillantes troupes étaient anéanties, ses généraux français tués, prisonniers, ou pour toujours retirés de son service. Ce souverain, qui pouvait se dire cinq années auparavant le plus puissant prince qui eût régné dans l’Inde depuis Aurang-Zeb, en était réduit à acheter la paix au prix de ses plus belles possessions dans le Gouzerate, l’Hindostan et le Bandelkand. Sans doute il se souvint alors des paroles que lui avait dites De Boigne en prenant sa retraite : « Gardez-vous d’exciter la jalousie des Anglais en augmentant vos bataillons réguliers, et licenciez-les plutôt que de risquer une guerre[3]. » Ce conseil que donnait De Boigne en partant, l’eût-il suivi lui-même au pied de la lettre, s’il fût resté au service de Sindyah? On a peine à le croire; c’eût été de la part du mahârâdja accepter sans combat les exigences des Anglais

  1. Voyez Hamilton’s East India Gazetteer.
  2. Les Anglais eurent dans cette affaire huit cent vingt-quatre hommes tués et blessés.
  3. Voyez sir John Malcolm’s Memoirs on Central India.