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l’adjonction de quelques communes catholiques n’a pu détruire.

Au sein même du parti radical, la question confessionnelle suscite donc encore bien des difficultés. On redoute les tendances ultramontaines, et l’on a raison. Quand elles se laissent voir trop à découvert, le mécontentement éclate aussitôt. Sur ce point, l’autorité du dictateur a déjà subi plusieurs échecs. Genève n’entend pas perdre son titre de ville protestante ; elle veut la liberté des cultes, la tolérance pour tous, et non la suprématie d’un clergé quelconque. Or, par les traités de 1815, la position des catholiques est tout à fait privilégiée dans le canton de Genève. Les communes détachées de la Savoie ne sont point soumises, en ce qui concerne les naissances, les mariages et les décès, au régime de l’état civil ; elles conservent de droit la majorité catholique dans leurs conseils municipaux ; elles peuvent interdire la construction de temples protestans sur leur territoire ; enfin l’organisation de leur église demeure exactement ce qu’elle était avant le triomphe de la démocratie, c’est-à-dire fort indépendante soit du peuple, soit du gouvernement. Le système électoral et l’esprit de tolérance qui règne aujourd’hui leur assurent de plus une grande part dans la direction des affaires publiques. Elles ne sauraient donc avoir aucun grief légitime, et tout semble leur prescrire, sinon la reconnaissance, du moins l’oubli des vieilles animosités. Cependant Rome ne se tient pas encore pour satisfaite. Peu lui importe d’entretenir la discorde et de compromettre les intérêts du pays. L’organe de ses prétentions les exprime avec une audace imprudente. En présence du péril qui menace la plus précieuse des libertés, celle de la pensée, les querelles intestines cessent, les ressentimens se taisent : on ne songe plus qu’à sauver une conquête si chèrement achetée, si vaillamment défendue pendant trois siècles.

Évidemment ici les efforts du radicalisme n’ont pas atteint leur but. Genève garde son cachet traditionnel, l’esprit de lumière et d’examen, contenu dans de sages limites. Ses écrivains sont fidèles aux convictions spiritualistes de leurs devanciers, et l’essor intellectuel conserve en général une activité non moins saine que féconde. On doit pourtant redouter l’abaissement du niveau moral. C’est un résultat presque inévitable des principes démocratiques poussés à l’extrême. Le peuple souverain a des préjugés, des passions, des caprices ; il fait les lois, et s’il ne lui plaît pas de les suivre, qui pourra l’y contraindre ? Jaloux du pouvoir, il refuse au gouvernement les moyens de répression nécessaires. La police est impuissante, à moins que les citoyens ne la fassent eux-mêmes, et l’on peut craindre que chez eux les notions de droit et de justice ne soient profondément altérées par l’esprit de parti. La haute direc-