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contre elle un antagonisme légitime ; ce jour-là il a été créé dans les luttes italiennes un juste milieu pratique. Ce jour-là aussi la cause nationale et libérale en Italie a trouvé cette force régulière qui se puise dans le droit de conservation. Le Piémont constitutionnel, avec ses chambres aux discussions retentissantes et avec sa presse libre, a pu d’un côté ouvrir un asile aux aspirations patriotiques de l’Italie, et de l’autre défendre au nom du droit incontestable de sa souveraineté, de sa conservation et de sa sécurité, ce foyer vivace et fécond des libertés italiennes. Le Piémont a pu s’adresser alors à l’opinion européenne ; il a pu lui prouver par son exemple que l’Italie indépendante n’était pas ingouvernable ; il a eu le droit de dire que les mauvais gouvernemens de l’Italie étaient non la faute des peuples, mais la faute des princes encouragés et soutenus dans leurs tristes erremens par les conseils et par les baïonnettes de l’Autriche ; il a eu le droit de dénoncer le débordement de l’influence autrichienne en Italie comme une menace perpétuelle contre sa sécurité, et comme une sorte d’attentat à sa propre indépendance. À partir de ce moment, la question italienne est entrée dans la phase dont l’opinion aperçoit l’éclat maintenant pour la première fois.

L’Autriche avec sa prépondérance absolutiste et envahissante, la Sardaigne avec sa jeune ambition et ses aspirations nationales et libérales, pouvaient-elles vivre paisiblement l’une en face de l’autre ? Il fallait inévitablement que l’une gagnât du terrain sur l’autre : quelle est celle des deux qui devait ou pouvait reculer ? Le Piémont, à peine émancipé, à peine en possession de cette indépendance, objet des vœux de si grands esprits et de si nobles âmes, depuis les de Maistre jusqu’aux Balbo et aux d’Azeglio, pouvait-il abandonner la partie avant d’avoir combattu, et sacrifier avec ses propres droits l’essor de l’Italie ? Qui oserait le dire ? L’Autriche au contraire, puisqu’elle ne peut défendre ses possessions territoriales en Italie qu’au prix de la vie d’un peuple, pouvait, sagement conseillée, préparer la fin d’une lutte funeste et peu glorieuse. Il eût été habile à elle de renoncer au rôle fâcheux qu’elle joue sans profit au-delà des Alpes depuis 1815, de conseiller de sages réformes aux gouvernemens qui écoutent sa voix, d’initier en quelque sorte le royaume lombard-vénitien à l’autonomie, de s’apprêter à lui rendre l’indépendance sous un archiduc, et de travailler ainsi à établir sans commotion, dans la péninsule redevenue vraiment italienne, une fédération de gouvernemens intelligens, progressifs et libéraux. L’Autriche a malheureusement choisi le parti contraire. Au lieu de modérer la papauté dans ses tendances rétrogrades, elle a contracté avec elle, par son dernier concordat, un pacte qui est un défi jeté à l’esprit de notre siècle. La question italienne, telle qu’elle est aujourd’hui posée, représente donc un antagonisme irréconciliable. Deux positions sont ouvertes dans cette lutte à la cause de l’indépendance italienne et au Piémont, organe et soldat de cette cause la position agressive et la position défensive. En nous renfermant dans le cercle des considérations purement italiennes, nous ne contesterions point aux partisans de l’indépendance de l’Italie le droit de prendre, à leurs risques et périls, la position agressive. Les traités lient assurément les souverains qui les ont signés ; mais ils ne sauraient être sérieusement opposés aux peuples qui n’y ont point pris part, et dont ils ont au contraire sacrifié l’indépendance. Qui oserait,