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s’inclinait le génie de Byron. Peut-être l’esprit de Shelley, qu’un platonisme élevé allait sans doute rapprocher d’une religion positive, eût-il entraîné dans une crise semblable l’âme souvent ébranlée de Byron. La mort sépara trop vite ces deux destinées. On connaît la fin tragique de Shelley, noyé à trente ans sur ces côtes fortunées de l’Italie qu’il avait tant aimées. Cette mort creusa un vide profond dans l’existence de Byron, et il tomba dans un profond accès de découragement et de misanthropie. Il sentit qu’il en fallait sortir à tout prix. La révolution de Grèce avait de quoi tenter cet esprit aventureux et passionné pour l’héroïsme antique. Il s’était dit souvent qu’il achèterait quelque jour une île de l’Archipel, pour vivre et mourir en Grèce. Sa pensée, encore vague, reçut une impulsion vigoureuse du comité grec de Londres, qui accueillit avec enthousiasme son adhésion à la cause de l’indépendance. M. Trelawny, qui craint beaucoup qu’on ne lui attribue quelque illusion sur Byron, a voulu mettre sur le compte du hasard la résolution définitive de Byron. Tous les grands dévouemens renferment sans doute leur alliage naturel d’hésitation et de préoccupations personnelles ; mais le dénouement, pour être méritoire, n’a pas besoin d’être spontané et irréfléchi. L’amour-propre et l’égoïsme y ont leur part ; mais il restera toujours à expliquer pourquoi il y a des égoïstes sensés qui meurent dans leur lit et des égoïstes insensés qui donnent leur vie pour leurs semblables. Byron eut la faiblesse, commune aux grandes âmes, de préférer le dernier parti. Quelques mois après, le plus grand poète de ce siècle mourait de la fièvre dans les murs de Missolonghi.


III

Les deux proscrits étaient morts. Il semblait que la poésie, alors incomprise, de Shelley devait laisser aussi peu de trace dans le souvenir de ses contemporains que son frêle corps dans les flots de la Méditerranée. Il semblait au contraire que la renommée de Byron, délivrée des calomnies qu’elle avait soulevées autour d’elle et purifiée par une mort héroïque, allait rentrer triomphante en Angleterre, portée par l’admiration de toute l’Europe. Il n’en fut pas ainsi. Tandis que la voix éloquente de M. Tricoupi, célébrait la louange du poète dans cette langue sonore qui avait retenti, plus de vingt siècles auparavant, aux mêmes lieux, pour les soldats de Marathon, le nom du poète resta exilé de l’Angleterre. À peine au contraire la cendre de Shelley était-elle refroidie, qu’une nouvelle école littéraire saluait en lui son chef, et élevait sa renommée au-