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habitudes du pays; le peu qu’elle apprit, elle le vit en passant, par occasion, par détails, ou elle le recueillit dans ses conversations avec quelques chefs indigènes. Les Battaks sont bien décidément des sauvages, quoique, selon la définition de Mme Pfeiffer, la forme de leur gouvernement soit celle d’une monarchie constitutionnelle. « Le rajah est le chef; mais chacun, même l’esclave, agit avec lui comme avec un égal. Si l’on n’obéit pas toujours à ses ordres, sa personne est fort respectée. Dans les affaires importantes, plusieurs rajahs se rassemblent pour tenir conseil. Le fils aîné est le principal héritier; il hérite notamment de toutes les femmes de son père.» Tel est en quelques lignes le régime politique que Mme Pfeiffer a cru devoir qualifier de monarchie constitutionnelle. L’assimilation est un peu forcée; ce qu’il convient cependant de remarquer, c’est que, chez ces peuples, où toutes choses sembleraient devoir se gouverner par les voies violentes, la discussion existe : les sultans malais, et probablement aussi les princes battaks, réunissent dans les circonstances graves le conseil des rajahs, qui forme une sorte de sénat dont les délibérations ne sont pas assurément toujours calmes, et il est assez singulier de retrouver chez ces peuplades le principe d’autorité reposant sur le droit héréditaire et tempéré en même temps par les conseils d’une assemblée. Souvent même il arrive que les pouvoirs se déplacent et que l’assemblée est seule maîtresse, ne laissant au sultan que les vaines apparences de la dignité souveraine; alors le sultan règne et ne gouverne pas. Il y a ainsi entre le gouvernement des tribus sauvages et celui des nations policées une similitude qui au premier abord paraît étrange, mais qui n’est cependant que très naturelle, car ici et là ce sont toujours les mêmes passions qui s’agitent, les mêmes ambitions qui luttent, les mêmes questions à débattre et à résoudre; c’est toujours l’homme qui est en scène, et la politique la plus raffinée ne s’écarte pas autant qu’elle voudrait le prétendre de la politique élémentaire qui s’applique à une fédération de tribus. Les voyageurs qui ont visité les Peaux-Rouges de l’Amérique du Nord ont observé au sein de ces peuplades les assemblées, les délibérations qui gouvernent de temps immémorial les tribus de la Malaisie.

Les Battaks n’ont point de rites religieux; la prière leur est inconnue; ils n’ont ni prêtres ni temples. Ils ne croient qu’aux génies, et l’influence de ces génies, bons ou mauvais, joue un grand rôle dans leur existence. Heureux pourtant celui qui, soit par maladie, soit autrement, est visité par le mauvais génie! Il est entouré d’égards et de respects, comme un être qu’une disgrâce fatale de la destinée désigne et recommande à la commisération publique. Peut-être aussi craindrait-on, en l’offensant, d’attirer sur soi la vengeance