Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au milieu d’une foule immense accourue pour voir son nouveau maître. Lorsque Victor-Emmanuel II, il y a si peu de temps encore, faisait son entrée solennelle dans la capitale lombarde, il semblait renouer ces traditions et suivre, cent vingt-cinq ans après, le chemin tracé par Charles-Emmanuel III, — et chose plus curieuse encore, la France semblait tenir les promesses de 1733. Quelques mois plus tard, la conquête du royaume de Naples s’accomplissait avec une égale rapidité ; l’armée espagnole chassait les impériaux du midi de l’Italie, et l’infant don Carlos, celui qui allait être Charles III, gagnait ce royaume, qui depuis ce moment est resté à la maison de Bourbon d’Espagne. Ainsi, en deux campagnes l’Autriche avait perdu toutes ses belles possessions d’Italie ; les impériaux n’avaient éprouvé que des désastres. Charles de Bourbon régnait à Naples et Charles-Emmanuel de Savoie était à Milan. L’empereur ne possédait plus que Mantoue, dernier asile de sa puissance.

Charles-Emmanuel III était à Milan, ai-je dit ; il y régna deux ans. À ne juger qu’à travers le mirage des choses contemporaines, il semblerait que les Lombards dussent être heureux de se trouver tout à coup délivrés de la domination allemande et placés sous le sceptre d’un roi italien. Ce ne fut point absolument ainsi. À cette époque le sentiment d’indépendance, l’instinct de nationalité, n’agitaient point les âmes. Pour les Milanais, appartenir au Piémont après avoir été à l’Autriche, ce n’était pas redevenir Italiens, c’était changer de maître, et même il y avait une sorte d’humiliation à dépendre d’un petit prince de Savoie au lieu de relever de la couronne impériale. La cour de Vienne était loin et laissait une grande liberté aux seigneurs lombards, qui restaient tout-puissans dans leurs terres ; la cour de Turin était rapprochée au contraire, et elle était renommée pour son administration sévère et économe. « La noblesse milanaise avait une grande aversion pour la maison de Savoie, sous laquelle elle n’aurait voulu vivre à aucun prix, » dit le Vénitien Foscarini dans son Histoire secrète, et c’est là justement la différence entre les événemens de 1733 et l’époque actuelle, où la noblesse milanaise s’est jetée presque tout entière dans le mouvement national, où on a vu les Arconati, les Borromeo, les Casati, les Arese, faire du Piémont leur patrie d’adoption avant que la guerre ne fit de Turin et de Milan les deux capitales sœurs d’un même royaume. Ce n’est pas là cependant ce qui fit de cette royauté de Lombardie une royauté si éphémère pour Charles-Emmanuel III en 1733.

La vérité est que cette conquête de la Lombardie était un fait consenti provisoirement par la France, mais qui n’était point reconnu par l’Europe et qui restait dès lors entièrement livré aux chances d’une guerre d’une issue toujours incertaine. Or, à mesure que les événemens se déroulaient et se compliquaient, le cardinal