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mais très étendue, et qui se distribue entre les classes les plus humbles de la société anglaise. Si je m’attache d’abord aux zones inférieures de la vie sociale, c’est que là surtout se rencontre l’originalité de la race anglo-saxonne. Ceux qui passent des soirées du faubourg Saint-Germain ou de la Chaussée-d’Antin dans les cercles du West-End ne font guère que changer de salons. Ce sont, à quelques nuances près, les mêmes usages ; c’est souvent la même langue, car les Anglais d’une certaine éducation parlent volontiers français avec le Français. Il n’en est plus de même dès qu’on descend vers les couches profondes de la société, ou, comme disent les géologues, vers la roche primitive.

Jusqu’ici l’histoire a oublié de nous dire comment les peuples vivent. Les rapports annuels du gouvernement anglais, si riches de détails sur quelques branches du grand commerce, se taisent, ou peu s’en faut, quand il s’agit des petits métiers de Londres. La seule enquête sérieuse sur la condition de ces humbles industries fut commencée en 1851 par M. Henry Mayhew[1]. Le monde des rues, streel world, ainsi que l’appellent quelques économistes anglais, n’en présente pas moins depuis des siècles un théâtre de faits curieux, des mœurs particulières, des tribus plus ou moins nomades qui méritaient mieux que le silence.


I

Les petits métiers de Londres se divisent en trois groupes bien tranchés : ceux qui vendent, ceux qui cherchent, ceux qui nettoient. Au groupe des vendeurs se rattachent les états utiles, tels que celui de marchands des rues ; à la famille des chercheurs appartiennent les industries solitaires ; enfin les nettoyeurs représentent ce qu’on pourrait nommer les métiers sociaux.

À la tête des marchands qui vendent sur la voie publique se placent les costermongers. Primitivement le costermonger ou costardmonger était, comme l’indique son nom, un marchand de pommes ; mais il s’en faut de beaucoup que son commerce se trouve aujourd’hui limité à ce fruit d’hiver. Il vend toute sorte de comestibles. Il me serait difficile d’atteindre à travers l’immensité de Londres les mouvemens d’une armée flottante qui envahit les rues, les places, les carrefours, les sombres allées, s’il n’existait des points de repère et des lieux de rendez-vous. Pour étudier les mœurs des costermongers, choisissons tout de suite un des quartiers-généraux où ils se réunissent

  1. London Labour and the London poor. Cet ouvrage est resté malheureusement inachevé.