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dans les rues voisines, souvent même dans les passages les plus mystérieux et les plus étroits. Cette ligne uniforme n’était brisée çà et là que par de grosses charrettes à deux chevaux d’un autre caractère, et qui devaient nécessairement se rattacher à une autre branche du même commerce. J’entrai dans Lower-Thames-Street : les boutiques des poissonniers, qui le jour s’ouvrent toutes grandes sur la rue, sans portes ni fenêtres, étaient encore soigneusement enfermées ce matin-là dans leur enveloppe de bois, ou, comme me disait un Anglais, dans leur robe de nuit. Ces grands magasins n’étaient autrefois que des étalages en plein vent, qui avec le temps sont devenus des maisons. Enfin je me trouvai devant Billingsgate. Ce marché, bâti en briques avec des arches de fer, a plus de physionomie du côté de l’eau que du côté de la rue : un assez joli clocheton, qui sert de cage à une horloge, est salué sur la Tamise par un groupe de mâts venus de Hartlepool, de Whiksable, de Harwich, de Great-Grimsby, ainsi que des autres ports et des grandes pêcheries anglaises. Avant d’être un marché, Billinsgate était un port dans lequel les bateaux et les navires déchargeaient, dit Stow[1], des poissons, des coquillages, du sel, des oignons et des fruits. L’étymologie du nom de Billingsgate a beaucoup exercé la science des antiquaires anglais. Quelques-uns prétendent que Belin, roi des Bretons, environ quatre cents ans avant Jésus-Christ, fit bâtir là une porte ou une écluse, watergate, à laquelle il donna son nom, et que, ce roi étant mort, ses cendres furent placées au-dessus de l’édifice dans une sorte d’obélisque de pierre. Cette origine est aujourd’hui considérée comme fabuleuse : on croit généralement que le nom de Billingsgate dérive du nom de l’un des anciens propriétaires de ce quai. J’étais d’ailleurs plus curieux, je l’avoue, d’étudier l’histoire actuelle du marché que de m’aventurer dans le champ des antiquités de Londres.

J’avais choisi un vendredi, le jour de la semaine où le marché de Billingsgate mérite le plus l’attention de l’observateur. Il y a pour cela une raison religieuse et une raison économique. Dans les plus pauvres quartiers de Londres résident un grand nombre d’Irlandais qui mettent en pratique les commandemens de l’église romaine ; D’un autre côté, les ouvriers anglais, étant payés tous les samedis, se trouvent en général fort dépourvus d’argent l’avant-dernier jour de la semaine. Le poisson est ainsi recherché dans les rues le vendredi soir par ceux qui font un dîner maigre et par ceux qui,

  1. John Stow, historien et antiquaire, naquit vers 1525. Son plus célèbre ouvrage est intitulé A Survey of London. La première édition parut en 1598. Cet ouvrage est à la ville de Londres ce que les Antiquités de Sauval sont à la ville de Paris, une histoire des rues et des monumens.