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« Urgel, août 1858.

« Maisons hautes et étroites avec balcons et toits très saillans. Des ruelles où des toiles tendues de chaque côté se rejoignent et forment une espèce de voûte irrégulière au-dessus de la rue. Murs blancs, peu d’ouvertures; sous les maisons, grandes galeries d’arcades profondes et sombres. Là dans l’obscurité, sans apparence, se cachent les boutiques ou échoppes, qui semblent vouloir fuir les regards plutôt que les attirer. Les hommes coiffés de leurs grands bonnets rouges, les femmes en jupes bleues, tabliers éclatans rayés, corsages de velours, la tête couverte d’un mouchoir blanc noué sous le menton et enveloppant tout le cou, presque des béguines. — Un beau grand jeune gars sautant avec une jeune fille devant l’église. Expression de sérieux presque sévère, réserve et air contenu, d’autant plus frappant qu’en dessous on sent la force et l’ardeur. Les prêtres en grand nombre; coiffés de leur grand chapeau, enveloppés dans leur manteau noir, ils ont quelque chose de très sévère. La cathédrale, vaste bâtiment sombre et massif, roman, du Xie siècle, retouché, rapiécé, altéré et mutilé de mille manières. L’intérieur est un vaisseau très élevé et imposant... Dans ce sombre intérieur ne glissent que quelques rayons de jour égarés, étranges, perçans, d’une lueur et d’une couleur singulières. C’est du Rembrandt méridional. Cela me rappelle la synagogue de Prague, un culte jaloux et sombre. Sur les pupitres d’énormes missels, devant le sanctuaire de grandes lampes en cuivre, quelque chose de gigantesque, de sombre et de terrible qui a un cachet particulier et fait une profonde impression. Tout cela porte bien le caractère de la dévotion espagnole, sombre, ardente, exaltée, sans charme. Ils ont saisi et conçu puissamment la réalité des doctrines religieuses et du culte, mais jusqu’à un rude matérialisme. Alliance étrange d’imagination exaltée et de caractère décidé avec l’absence d’idéal! Je ne m’attendais à rien de si frappant... Un peu derrière la cathédrale, sur une place, palais épiscopal. Petit jardin où poussent quelques tiges de maïs, quelques arbres à peine agités par un souffle sous le soleil brûlant. Il y a un sentiment de mélancolie profonde dans ce silence, ce calme recueilli et cette solitude au sein de cette vive et chaude lumière. Un cadran grossier sur le mur. Sicut umhra transit homo. Monté le grand escalier désert et entré jusque dans la galerie qui s’ouvre d’un côté dans les appartemens, de l’autre donne sur le petit jardin. On a d’une fenêtre la vue de cette belle vallée de la Segre inondée de lumière entre les pentes douces des montagnes. Délicieux horizon et charmant ensemble que ce pauvre palais