Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/898

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la nationalité du souverain pour voir en lui le représentant des sentimens et des intérêts italiens. En 1164, quand la Lombardie gémissait sous le joug des lieutenans allemands de Barberousse, les Lombards disaient avec résignation : « l’empereur n’est pas coupable des maux et des insultes que nous font ses envoyés. Nous sommes sûrs que lorsqu’il reviendra, il nous rendra bonne justice. Loin de nous la pensée de faire du mal à qui que ce soit avant l’arrivée de l’empereur! Souffrons tout par amour pour lui jusqu’à ce qu’il vienne nous apporter la paix[1]. » Paroles touchantes qui rappellent le cri de nos paysans sous l’ancienne monarchie : « Si le roi le savait ! »

Des témoignages aussi nombreux que précis montrent que les Allemands ne se soucièrent jamais d’atténuer par la modération de leur conduite ce que l’occupation étrangère a de blessant pour un peuple encore plein des souvenirs de sa grandeur passée. « La fureur des Allemands, écrivait Falcando à la fin du XIIe siècle, ne peut être ni gouvernée par la raison, ni fléchie par la pitié, ni dominée par la religion. Leur violence innée les entraîne, leur rapacité les aiguillonne, leurs passions brutales les poussent en avant. » — « Quoique le pape, dit l’auteur anonyme des Gestes d’Innocent III, regardât la paix qu’on lui proposait comme utile, il ne put l’accepter, parce que beaucoup en étaient scandalisés, comme s’il eût voulu par là implanter dans l’Italie ces Allemands qui, par leur cruelle tyrannie, l’avaient réduite à la plus dure servitude, et il fallut que par ce refus il donnât un gage à l’esprit de liberté. » Frédéric II, pour faire ressortir la douceur des procédés dont il usait envers les Italiens, disait qu’il avait rompu avec les anciennes allures des armées impériales, qui avaient pour habitude d’annoncer leur entrée en Italie par la fumée des incendies et non par l’envoi d’ambassades pacifiques. Et cependant Hermann de Salz, grand-maître de l’ordre teutonique, écrivait aux cardinaux, en 1237, que les princes allemands s’irritaient de ces vains ménagemens, et qu’ils voulaient soumettre les Lombards non par la voie des négociations, mais en faisant couler le sang, « comme l’exige la dignité de l’empire quand il recourt aux armes[2]. » Il ajoutait : « Sachez que si la paix n’est pas conclue avant l’arrivée de l’empereur, il déploiera ses forces et lâchera la bride à la violence de ses Allemands. »

La force était en réalité le dernier mot du débat, et il n’y a pas lieu de s’étonner que les empereurs ne soient parvenus ni à subju-

  1. « Sed totum pro imperatoris amore donec venerit in pace sustineamus. » Morena, Hist. rer. Laud., dans Muratori, Script, VI, 1129.
  2. « Non per compositionis formam, sed fuso sanguine, prout in arma furens imperium exigit, vellent Lombardes imperio subjici, » Hist. diplom. , t. V, p. 93, 94.