Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/1008

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loin étaient peut-être plus belliqueux que ceux qui étaient chargés de la faire. À Madrid, on rêvait de nouvelles victoires et de grands résultats, surtout depuis le mouvement de l’armée sur Tanger ; on n’était point satisfait d’une paix qui ne laisserait pas même Tétouan au pouvoir de l’Espagne. Sous les tentes de l’armée d’Afrique au contraire, on avait fini par reconnaître qu’en prolongeant la guerre, on s’engageait dans une voie sans issue, et que la conservation même de Tétouan n’offrait que de douteux avantages. Un des symptômes de ce revirement dans l’esprit de tous ceux qui étaient en Afrique, c’est que plusieurs écrivains, d’opinion politique différente, qui ont suivi cette laborieuse campagne revenaient récemment en toute hâte à Madrid pour défendre la cause de la paix et préparer l’opinion. De cette différence d’impression est née cette confusion qui semble avoir mis à l’épreuve le bon accord du ministère au moment où la paix a été signée. Ce qui est certain, c’est que toutes ces divergences se sont effacées en présence de la tentative d’insurrection carliste qui a éclaté sur ces entrefaites.

Cette échauffourée singulière n’a point été une surprise autant qu’on l’a pu croire à la dernière heure. Depuis quelque temps, le mouvement que se donnait le parti carliste avait été remarqué partout. Le comte de Montemolin lui-même avait quitté sa résidence habituelle ; il avait passé en France, puis on avait perdu sa trace. Cabrera et l’infant don Juan, frère du prétendant, avaient quitté l’Angleterre. On soupçonnait même vaguement à Madrid la défection possible de quelque chef de l’armée de la reine Isabelle. Ce chef prêt à se prononcer pour le roi Charles VI existait bien réellement : c’était le maréchal de camp don Jaime Ortega, capitaine-général des îles Baléares, homme jeune encore, tête peu sûre, on le voit bien, qui a toujours eu plus d’ambition que de mérites militaires et de consistance, et qui pensait sans doute se faire aujourd’hui maréchal comme il se faisait autrefois colonel à la suite d’une insurrection. Ortega a donc réuni trois mille soldats placés sous ses ordres, il les a embarqués sur des bateaux à vapeur sans leur dire précisément ce qu’il prétendait faire, et il est allé prendre terre le 1er avril aux bouches de l’Èbre, à San-Carlos de la Rapita. En même temps, à ce qu’il semble, débarquait le comte de Montemolin, venu de son côté. Un autre chef carliste, le général Elio, était aussi de la partie ; mais ici l’entreprise s’est arrêtée subitement. Ortega n’a même pas eu le temps de faire un acte sérieux d’insurrection. Après avoir essayé d’abord de tromper son monde en feignant d’avoir été appelé par le gouvernement, il a fini par laisser éclater son secret. Il a pensé qu’il allait enlever ses soldats en criant : Vive Charles VI et meure la reine ! Les troupes n’ont point répondu ; quelques soldats ont tiré sur lui comme sur un traître, et il a dû se sauver de toute la vitesse de son cheval, tandis que ses complices s’échappaient d’un autre côté. Poursuivi de toutes parts, Ortega n’a point tardé à être pris ; Elio est également prisonnier aujourd’hui, et on ne sait plus ce qu’est devenu le comte