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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/1022

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plutôt que d’aller à travers les mers chercher une nouvelle patrie, aimaient mieux s’enfoncer dans le centre du pays, à peu près inhabité, pour y vivre, affamés et misérables, des seules ressources que bien souvent le vol et le crime, mais quelquefois aussi des industries habiles à exploiter le merveilleux, leur pouvaient procurer. Le centre de l’île était devenu aux yeux des Islandais une redoutable contrée de laquelle ils répétaient aux veillées mille étranges récits ; le suivant porte l’empreinte d’une certaine finesse de sentiment et exprime assez bien la terreur qu’inspiraient aux familles de paysans islandais les mystères de ce nouveau et immense border.

Il y avait une fois un paysan nommé Sigurd, homme honnête et respecté. Il avait une fille appelée Helga, belle et vertueuse. Helga était fiancée à un serviteur de Sigurd nommé Olaf, un brave et courageux jeune homme. Un jour elle sort de chez son père pour aller surveiller les femmes au lavoir, et elle ne revient pas. On la cherche, le lendemain et les jours suivans dans tout le voisinage sans la retrouver. Sigurd pleurait, mais Olaf était en proie à une douleur plus vive encore ; la vie lui devenait insupportable. Une nuit cependant, comme il avait succombé au sommeil, il eut un songe, et crut entendre une voix qui lui disait, après lui avoir reproché son désespoir : « Lève-toi, prends des souliers neufs, mets des vivres dans ton sac, et va-t’en vers le midi jusqu’à ce que tu rencontres un tertre entouré de pierres ; un ruisseau coule au pied, tu le franchiras ; tu verras ensuite un sentier que tu suivras ; confie-toi en Dieu seul, et ne te laisse arrêter ni détourner par aucun obstacle ni par aucun conseil. » A peine éveillé, Olaf se rappela son rêve : il fit aussitôt ses préparatifs, et malgré les larmes de Sigurd, qui l’appelait son fils et son dernier espoir, il partit. Après avoir longtemps marché, toujours dans la direction du midi, il aperçut le tertre désigné, puis le ruisseau, puis le sentier. Cela lui donna du courage. Bientôt il aperçut un jeune homme de haute taille qui gardait un troupeau de brebis ; cet homme, bizarrement vêtu, avait une hache sur l’épaule. « Je te connais, dit-il à Olaf, tu viens chercher Helga, qu’on t’a enlevée ; elle est près d’ici, mais elle ne te sera pas rendue. Retourne chez Sigurd au plus vite, ou je serai forcé de te fendre la tête avec cette hache. » A peine Olaf a-t-il entendu ces paroles qu’il saisit adroitement son adversaire, le force à jeter loin de lui son arme et le terrasse ; toutefois il lui laisse la vie à la condition qu’il deviendra son serviteur dévoué ; l’inconnu s’y engage par un serment, puis lui raconte que son père et sa mère, qui sont des outlaw, habitent près de là avec ses deux frères et ses sœurs ; c’est son père qui a enlevé Helga. Un de ses frères veut l’épouser, mais elle s’y refuse ; elle passe les jours et les nuits dans les larmes, elle est pâle et amaigrie : Olaf sera reçu comme un ennemi, mais son nouveau serviteur, Kari, lui sera dévoué jusqu’à la mort. Tous deux se mettent en marche. On arrive le soir, par une petite et étroite vallée, à la cabane des outlaw. Le père, la mère et les deux fils sont d’un aspect hideux et repoussant, tandis que les deux filles semblent au contraire douces et jolies. Olaf cherche en vain du regard Helga, sa fiancée ; il voudrait parler, mais