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nul doute d’utiles sujets de comparaison et peut-être des explications uniques aux commentateurs de certains ouvrages du moyen âge[1]. C’est encore aujourd’hui une croyance populaire en Islande que les corbeaux forment conseil au milieu de l’automne, et qu’on voit, au jour marqué, chaque couple se diriger vers la place convenue. En Islande comme partout ailleurs, le corbeau est de mauvais augure, et s’il vole avec persistance autour d’un toit, ceux que ce toit abrite sont menacés de mort. Les vaches parlent pendant la première nuit de chaque année, ou, suivant d’autres, pendant la nuit de la Saint-Jean. Un fermier qui n’en voulait rien croire s’alla coucher pendant cette nuit-là dans son étable. Au premier coup de minuit, il entendit une de ses vaches qui disait : « Il est temps de parler. » Sa voisine répondit : « Il y a un homme dans l’étable. » Une troisième ajouta : « Nous le rendrons fou avant le lever du soleil. » Le pauvre homme y perdit en effet la raison. — Nous ne nous arrêterons pas aux légendes qui concernent les monstres de la mer ; elles sont innombrables. Sans parler des hommes ou des femmes-poissons, les chiens de mer sont pour la tradition populaire les anciens soldats de Pharaon ; ils ont été engloutis avec leur maître et vivent misérablement au fond des eaux. Pendant la nuit de la Saint-Jean, ils reprennent pour quelques heures la forme humaine, et viennent sur les rivages jouer, chanter et danser comme les autres hommes. Si par hasard un d’entre eux ne retrouve pas son enveloppe aquatique qu’il a déposée sur le sable, il faut qu’il reste au milieu des hommes jusqu’à ce qu’il la recouvre. Une fois, par une telle nuit, un Islandais eut l’audace de dérober ainsi la dépouille d’un de ces êtres marins ; quand leur troupe se replongea dans les eaux, il en vit un rester errant sur la côte : c’était une femme ; il l’épousa, vécut heureux avec elle et en eut deux enfans. Il avait toujours sur lui la clé du coffre où il avait enfermé son enveloppe marine. Un jour cependant il l’oublia dans un de ses vêtemens, et à son retour il vit que la cassette était vide et sa femme partie pour jamais. Seulement, lorsque les deux petits enfans de l’Islandais s’allaient promener sur le bord de la mer, on voyait un de ces animaux marins élever fréquemment sa tête au-dessus des eaux, suivre leurs jeux et leur jeter sur la rive de beaux poissons dorés et de brillans coquillages.

Le livre de M. Maurer se termine par un certain nombre de contes populaires qu’il a recueillis en Islande. Je les ai lus avidement, curieux de savoir si j’y trouverais quelques souvenirs de l’ancienne littérature islandaise, dont une bonne partie, nous l’avons déjà indiqué, consistait en traductions ou imitations de nos poèmes et romans du moyen âge. Malheureusement ce dernier point de vue ne paraît pas avoir préoccupé M. Maurer, et il est permis de le regretter. Son conte de Linus ne se distingue pas précisément de la généralité

  1. Voyez le Bestiaire d’amour de Richard de Fournival (Aubry, 1860), que M. Hippeau, après avoir déjà donné le Bestiaire divin de Guillaume, clerc de Normandie, vient de publier avec beaucoup de soin et de netteté.