Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instincts de dévouement et de charité, et forma des personnages vraiment vertueux. Tel est sans contredit Hiouen-Thsang, ce pèlerin chinois dont M. Barthélémy Saint-Hilaire a longuement raconté l’histoire, qui s’en alla dans le VIIe siècle de notre ère retremper sa foi et compléter son éducation religieuse au foyer des croyances bouddhiques. Néanmoins on voit par ce personnage même, qui est un des héros du bouddhisme, que si cette religion sut inspirer des sentimens d’une charité poussée jusqu’au dévouement, elle n’avait rien cependant qui pût élever l’esprit et agrandir l’âme, car il est impossible d’être plus superstitieux, plus crédule, plus étroit que ne le fut ce pèlerin renommé entre tous les bouddhistes de l’Inde et de la Chine pour sa science et sa sagesse, et surnommé par eux le Maître de la loi et le Dieu de la délivrance. Ces grandes qualités de charité et d’amour demeurèrent donc à peu près stériles ; elles ne produisirent que des résultats individuels et isolés sans profit pour la foule, et n’empêchèrent pas le bouddhisme de tomber dans l’état de dégradation profonde où nous le voyons aujourd’hui.

Qu’on ouvre en effet des relations relatives à la Chine, à la Mongolie, au Japon, à la Cochinchine, à Ceylan : partout se retrouvent des pratiques absurdes, honteuses, quelquefois abjectes, s’adressant grossièrement aux sens, ne tenant aucun compte de ce qu’il y a de plus élevé dans notre nature, mettant l’homme de niveau avec les bêtes les plus viles. Toutes les législations s’altèrent, et il n’y a pas de doctrine, si sublime qu’elle soit à son point de départ, qui ne puisse être pervertie par les interprétations intéressées ou sophistiques des passions humaines : le christianisme en a été souvent la preuve ; mais dans ces sortes de naufrages on voit surnager quelque grand débris, un principe, une idée à laquelle la vérité se rattache pour trouver son salut et reprendre son chemin. Dans le bouddhisme, rien de semblable : le raisonnement, le renoncement aux biens de ce monde, le détachement par la contemplation, tout ce qui composait l’esprit des doctrines de Çâkyamouni a disparu, parce que le but et les procédés de sa religion étaient contraires aux lois et aux conditions de la vie humaine, et des pratiques grossières s’y sont partout substituées.

En Mongolie, les lamaseries réunissent par milliers des troupeaux de mendians inutiles ; dans leur habit jaune consiste tout leur caractère religieux ; ils sont à charge à la population laïque, et consument leur temps, sans aucun profit pour eux ni pour leurs semblables, à rouler les grains d’un chapelet, à nasiller des paroles vides de sens, ou même à faire marcher des moulins à prières pour mettre littéralement en pratique cette expression symbolique d’un soutra qui dit que le Bouddha fit tourner à Bénarès la roue de la loi. À la tête de