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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/202

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leurs anciennes chambrées, cinq les ont considérablement réduites, dix les ont complètement abandonnées. La production a diminué de plus des trois quarts. Dans le même arrondissement, trois propriétaires ont à eux seuls arraché les mûriers suffisans pour élever plus d’un kilo de graine, et à Valence on s’est chauffé avec le bois de mûriers jeunes et vieux.

Dans ces contrées du moins, les populations trouvèrent des compensations. Dans le Var, les Bouches-du-Rhône, la Drôme, comme dans la portion méridionale du Gard et de l’Hérault, la vigne, l’olivier, toutes les récoltes habituelles de ces terres privilégiées permirent aux habitans d’attendre sans souffrances bien réelles que le mal faiblît ou disparût. Dans les régions les plus franchement séricicoles, il n’en pouvait être ainsi. Là où le mûrier est tout, tout manquait avec lui. La terre, ne donnant plus de revenu, perdit bien vite sa valeur. Dans les Cévennes, la baisse atteignit plus de 60 pour 100. Nos malheureux montagnards des Cévennes et de l’Ardèche, les riches comme les indigens, perdirent leur pain quotidien ; il fallut en chercher au dehors, et l’émigration, cette ressource dernière des peuples écrasés par un fléau quelconque, commença. En même temps nos manufacturiers, las de chercher chaque année autour d’eux un approvisionnement difficile et d’une cherté toujours croissante, s’adressèrent sérieusement au dehors. L’Europe entière étant frappée, ils eurent recours à l’extrême Orient. En 1859, Lyon seul a importé pour 92 millions de soies ou de cocons de Chine[1], de telle sorte que nos sériciculteurs ont à lutter à la fois contre le mal qui les accable et contre une concurrence qui serait redoutable, peut-être même dans un temps de prospérité.

Ce n’est certainement pas la première fois que la sériciculture traverse en France de pareilles épreuves. Vers 1690, une maladie, sans doute assez semblable à celle qui règne aujourd’hui, ravagea les éducations. Déjà on commençait à arracher les mûriers comme nous le voyons faire aujourd’hui, quand le terrible Lamoignon de Baville, intendant du Languedoc, lança un édit qui condamnait aux galères quiconque commettrait un pareil délit. La sériciculture de ces contrées a dû peut-être ainsi son salut à celui qui devait faire tant de mal sous d’autres rapports. Malheureusement il ne nous reste aucun détail ni sur les maladies de cette époque, ni sur la manière dont elles ont pris fin. Il n’en sera pas de même de l’épidémie actuelle ; et nos descendans, s’ils sont atteints jamais par le même fléau, n’auront que l’embarras du choix parmi les documens sans nombre que nous leur laisserons.

Cet embarras pourra bien être réel. J’ai reproduit tout à l’heure

  1. Lettre de M. Détanges au Commerce séricicole.