Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir le vieux général plongé dans une morne tristesse, et il n’en put tirer que ces mots qui lui furent d’abord tout à fait inintelligibles : « Vous êtes un homme de bien, et moi je le suis aussi[1]. » En disant ces mots, il marchait à grands pas, trahissant l’agitation de son cœur par les efforts mêmes qu’il faisait pour la contenir. Ensuite il éleva des doutes sur les intentions du duc de Savoie, et il fallut que Mazarin retournât auprès du duc pour obtenir des éclaircissemens bien inutiles ; quand, revenu auprès de Spinola, il le pressa d’exécuter sa parole, il en reçut encore cette réponse extraordinaire : « Vous êtes un homme de bien, et moi je le suis aussi. » Nouvelles difficultés sur l’adhésion de Collalto, nouvelles courses de Mazarin pour aller chercher l’explication désirée. Il l’obtient et la rapporte bien vite ; mais il trouve Spinola encore plus abattu, malade et dans son lit. Il lui représenta quelle tache il allait imprimer à son nom en manquant à des engagemens proposés par lui-même et contractés avec un roi tel que le roi de France et avec un ministre tel que Richelieu ; que d’ailleurs, s’il n’entrait pas dans Casal aux conditions consenties, il n’y entrerait jamais ; qu’à Saint-Jean-de-Maurienne on avait mis à profit le temps qui se perdait ici en inconcevables scrupules, et qu’une nouvelle armée française franchissait en ce moment les Alpes ; que Toiras avait promis de se défendre jusqu’à l’arrivée des renforts qui s’avançaient, qu’alors il serait bien forcé de lever le siège de Casal, et de le lever avec ignominie. Il n’y avait point de réponse à de pareils argumens, développés avec toute l’énergie qu’autorisaient les circonstances. Spinola, ne pouvant plus contenir le chagrin qui le dévorait, éclata enfin, et s’écria : « Ils m’ont ôté l’honneur[2] ! » Et, appelant un de ses aides-de-camp, il se fit apporter une lettre du roi d’Espagne qu’il montra à Mazarin pour lui donner le secret de toutes ses irrésolutions. Cette lettre accusait Spinola d’empêcher la paix par le désir même qu’il en faisait paraître, et lui enlevait le pouvoir de rien conclure[3]. C’était la dégradation de son autorité de généralissime, la flétrissure de son caractère, un opprobre public dont l’idée seule le pénétrait d’horreur. Il reprit la lettre des mains de Mazarin, répétant avec l’accent du désespoir : « Ils m’ont ôté l’honneur ! » Puis, se tournant de l’autre côté du lit et se parlant à lui-même, comme s’il eût été seul, il se demandait ce qu’allaient penser de lui le roi de France et le cardinal de Richelieu, qu’il semblait avoir voulu tromper, et qui le traiteraient sans doute de parjure, de fourbe, d’infâme. Il se répandait en plaintes amères contre Olivarès et le roi d’Espagne. « Voilà

  1. Benedetti, p. 30 : « Vostra signoria es hombre da bien ; però yo tambien. »
  2. Benedetti, p. 31 : « Me han quittado la honrra. »
  3. « Sin concluir nada. » Benedetti, p. 31, et Richelieu, t. VI, p. 264, donnent le texte même de la lettre du roi d’Espagne.