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ne put retenir un geste de mauvaise humeur, il ôta ses gants, prit un fauteuil, et s’installa devant la cheminée dans l’attitude d’un homme décidé à ne point quitter la place. George et Pauline se regardèrent et reprirent leur conversation, à laquelle M. de Chavry ne se mêla point. Il semblait contrarié : de sa propre défiance ou de la présence de George ? je ne sais. Il ne parlait pas, s’absorbait dans la contemplation du feu, changeait ses jambes de place, tapotait de ses doigts nerveux les bras de son fauteuil, et paraissait pris entre toute sorte d’hésitations. Tout à coup il se leva, et, tendant la main à sa femme, il lui dit adieu avec un de ces sourires derrière lesquels aucun soupçon ne saurait se cacher.

— Qu’a-t-il donc ? dit George à Pauline.

— Rien, répondit-elle ; seulement il a compris que nous nous aimions !

Ce fut là le premier aveu, et Pauline fut bien imprudente de le prononcer, car il renversait le compromis derrière lequel leurs cœurs s’abritaient, et il allait livrer passage à toutes les ardeurs de leur passion contenue.

De ce jour en effet, aucun de leurs doutes conventionnels ne pouvait subsister ; ils n’avaient plus rien à s’apprendre. Le mot de Pauline contenait plus qu’un encouragement, il avouait une défaite, et c’est là une confession que la femme, lorsqu’elle veut demeurer toujours pure, ne doit jamais faire, fût-ce même au complice de sa vertu. Ce seul mot les avait pour ainsi dire désarmés, et ils ne pouvaient rester vertueux que par un accord tacite de grâce et de générosité. Combien de temps pouvait durer cet accord, et de quel poids serait-il dans la main de la destinée qui pousse fatalement l’un vers l’autre les cœurs épris d’un même amour ? Extérieurement rien n’était changé en eux, mais un élément nouveau s’était glissé dans leur âme, et une révolution s’y était faite ; malgré leurs efforts, ils étaient la proie du dieu jaloux contre lequel on n’a jamais combattu en vain, et ce n’est plus seulement contre leur cœur qu’ils avaient à lutter maintenant.

L’un et l’autre, avec une bonne foi et un courage surprenans, appelaient des secours étrangers à l’aide de leurs forces chancelantes. Pauline priait, elle faisait des aumônes, elle demandait humblement à Dieu d’éloigner de ses lèvres altérées cette coupe toute pleine d’une tentation charmante ; elle écoutait avec empressement les banales paroles qu’un prêtre murmurait à son oreille, espérant y trouver une lueur qui lui montrerait la vérité, un point d’appui qui la soutiendrait dans sa marche difficile, et elle rentrait chez elle plus énervée, plus anxieuse, toujours décidée à rester maîtresse d’elle-même, mais désespérée du travail terrible qui se faisait en