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qui paraissait ne pas s’en apercevoir. M. de Chavry rentra du club plus tôt que de coutume ; il fit de grandes amitiés à Ladislas. Le pauvre George n’en pouvait mais ; il avait presque envie de souffleter le comte Palki parce qu’il était venu, et M. de Chavry parce qu’il était rentré ; il comprit que bientôt il ne serait plus maître de lui et qu’il allait faire quelque sottise ; il se leva, ouvrit la porte du salon et sortit sans dire adieu à personne. À le voir partir, Pauline devina tout.

La nuit fut mauvaise pour George comme pour Pauline. George était fort mécontent de lui, et il ne pouvait s’empêcher de divaguer, tout en sentant qu’il ne pensait que des sottises. Pauline n’était pas irritée, mais elle était profondément triste ; un découragement sans bornes l’avait affaiblie, elle se disait malgré elle : Si j’étais à lui, il ne douterait jamais de moi, et ne souffrirait plus.

Le lendemain, George courut chez Pauline.

— Je vous attendais, lui dit-elle. Hier, vous êtes parti plein de colère, et vous m’avez fait beaucoup de peine.

— Aimez-vous le comte Palki ? l’avez-vous jamais aimé ? lui demanda-t-il, sans même l’écouter.

— Jamais ! lui répondit-elle avec un triste sourire, en dirigeant vers lui l’indicible loyauté de son regard.

George laissa échapper un soupir, comme un homme soulagé d’un grand poids. — Ah ! je le pensais bien ! s’écria-t-il ; mais pourquoi donc alors ai-je tant souffert ?

Ils parlèrent ensemble de Ladislas avec un abandon sans réserve, et qui paraîtrait étrange après l’espèce de crise nerveuse qu’ils avaient subie, si l’on ne savait qu’entre amans de bonne foi un mot dissipe tous les orages.

— C’est un héros, lui dit Pauline ; c’est une sorte de soldat d’avant-poste, toujours au premier rang, quand il s’agit de combattre ceux qui se sont partagé sa patrie. Une aventure tragique en a fait un personnage célèbre en Allemagne, et a donné du retentissement aux soins qu’il m’a rendus. Il était le chef d’une de ces conspirations qui ont éclaté dans le grand-duché de***. Tout était prêt pour l’action ; Ladislas et huit de ses amis devaient aller, à quelques lieues de la ville, soulever un régiment de cavalerie travaillé d’avance, et à l’aide duquel on voulait marcher sur le siège du gouvernement. La veille du jour fixé pour l’action, les amis de Ladislas, entrés un à un et séparément dans la ville, s’étaient cachés dans sa maison. La soirée fut employée aux dernières dispositions, et l’on s’ajourna au lendemain, à six heures du matin. À cette époque, Ladislas était lié avec la jolie princesse K… que vous avez vue à Paris, et qu’on appelait la fée Carline à cause de son petit nez un peu écrasé. Il