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d’alluvions des plaines avoisinantes et les coquillages d’eau douce épars sur le sol. Toutes les collines qui environnent ce bassin sont coupées par des falaises à pic dont la base est située à la même élévation : on ne peut douter qu’autrefois une vaste nappe d’eau s’étendît entre la Sierra-Nevada et le chaînon des Andes appelé Sierra-Negra. Peut-être le Magdalena traversait alors ce lac d’eau douce et empruntait le lit actuel de la Rancheria ; peu à peu, le soulèvement graduel de la Sierra-Nevada aura déversé le lac dans la mer et rejeté le Magdalena plus à l’ouest, vers le golfe qui s’étendait entre Carthagène et Sainte-Marthe, et qui depuis a été comblé par les alluvions du fleuve. Maintenant encore le renflement de terrain qui sépare du bassin de la Rancheria celui du Rio-Cesar, affluent du Magdalena, est à peine prononcé, et l’on pourrait facilement creuser un canal qui réunirait les eaux du Haut-Magdalena au port de Rio-Hacha. Si la Nouvelle-Grenade comprend ses intérêts commerciaux, le premier chemin de fer important qu’elle fera construire sera celui de Rio-Hacha à Tamalameque, sur le Magdalena ; le courant commercial suivra la même direction que lui a tracée le courant des eaux dans les âges géologiques, et traversera un bassin d’une fertilité sans bornes, parsemé déjà de nombreux centres de population : San-Juan, Fonseca, Barranco, Canaveral, Urumita, Ba-dillo, Valle-Dupar.

Une de ces localités, Villanueva, où j’arrivais deux jours après avoir franchi la cuesta de San-Pablo, me frappa surtout par son apparence de prospérité et sa situation merveilleusement belle. Les maisons, peintes en jaune, sont ombragées par des arbres d’une opulence rare, même dans la zone équatoriale ; de beaux chemins sur lesquels les voitures pourraient facilement circuler rayonnent dans tous les sens ; des asequias[1], coulant sur les pierres avec un doux murmure, entretiennent dans les jardins la plus riche végétation ; au loin s’étend la plaine, immense fleuve de verdure étalé entre deux rangées de montagnes parallèles, dont l’une a 2,000 mètres et l’autre de 5 à 6,000 mètres d’élévation. À l’est, la Sierra-Negra, chaîne relativement modeste et pourtant plus haute que nos Vosges, ouvre ses larges vallons boisés et déploie ses cimes arrondies, au-dessus desquelles le Cerro-Pintado (Mont-Peint), posé comme une grande forteresse rectangulaire, projette des bastions alternativement blancs et noirs. À l’ouest, la Sierra-Nevada, aux escarpemens rouges et nus, dresse au-dessus de son énorme muraille des pics taillés en forme de pyramides et couverts de neiges immaculées comme d’un revêtement de marbre. Chaque matin, le

  1. Ruisseaux d’irrigation.