Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XIe siècle après Jésus-Christ un Jupiter en marbre blanc de Phidias. Le dieu était assis sur un siège sans dossier, sorte de banc que recouvrait un tapis ou un coussin. Tels sont les sièges qui servent aux divinités sur la frise du Parthénon ; on en a trouvé de semblables à Pompéi. Il est surprenant que ni Pline ni Pausanias ne parlent de cette statue, d’autant plus digne d’être remarquée par l’antiquité qu’elle était en marbre et que Phidias a rarement travaillé le marbre. On cite de lui trente-cinq statues, dont vingt-trois en bronze, sept en or et en ivoire, trois en marbre, deux de matière inconnue. La Minerve de Platées avait la tête, les pieds et les mains en marbre. Aussi hasarderai-je une conjecture. Au milieu du VIIIe siècle, le Parthénon fut converti en église grecque. On construisit l’abside sur l’emplacement du pronaos, et, pour que les rayons du soleil pénétrassent par les petites fenêtres byzantines, on abattit la couverture du portique et le milieu du fronton oriental. Alors neuf ou dix statues disparurent sans qu’on en ait retrouvé la trace. C’étaient précisément les principaux personnages de la grande composition qui représentait la naissance de Minerve : Jupiter y occupait la première place. Je me suis demandé si ces statues, une fois enlevées par les chrétiens, n’ont pas été transportées à Constantinople, où les empereurs entassaient tous les chefs-d’œuvre que Rome avait respectés, et si le Jupiter du Parthénon n’était pas celui dont parle le moine Cédrénus. Assis au centre du fronton, il contemplait sa fille qui venait de s’élancer de son cerveau, et « qui enlevait, » comme dit Hésiode, « de ses épaules immortelles ses armes divines : et le cœur de Jupiter se réjouissait. »

Je ne puis terminer l’énumération de tant d’œuvres aujourd’hui perdues sans essayer de caractériser la transformation que Phidias introduisit et dans son style et dans celui de ses contemporains. Le silence de l’antiquité me chagrine, mais ne m’intimide point. L’archéologie n’a-t-elle pas pour mission de suppléer l’histoire et de retrouver le passé moins dans le témoignage des hommes que dans leurs œuvres ? Nous avons des sculptures de la vieille école attique, nous avons les sculptures du Parthénon. Entre ces deux points extrêmes, mais certains, la transition manque ; il y a une lacune qui se laisse, sinon combler, du moins mesurer.

Le propre de l’art à son enfance, c’est d’être impersonnel. Les artistes n’offrent aucune marque particulière de leur talent, copient des types de convention, et se ressemblent de telle sorte que la postérité n’en fait qu’un seul homme. Toutes les madones byzantines sont attribuées à saint Luc, toutes les idoles de la Grèce primitive étaient attribuées à l’Athénien Dédale. Plus tard, Athènes eut le goût des Hermès, c’est-à-dire des bustes ou des têtes montées sur une